Musicienne féministe et militante LGBTQ, Bïa Ferreira a inventé son propre label au sein de la musique brésilienne. Elle se produit à Montréal pour la première fois ce jeudi, au Balattou, seule avec sa voix, sa guitare et une boîte de rythmes enlevants.

La musique brésilienne est une jungle foisonnante de styles variés désignés par des vocables dont certains sont connus comme bossa nova, samba, samba funk, forro ou même l’acronyme MPB, pour « musica popular brasileira ». Bïa Ferreira amalgame bien des choses dans ses chansons revendicatrices, mais se revendique d’une seule étiquette : MPP, pour « musica de mulher preta », c’est-à-dire musique de femme noire.

Ses deux premiers disques parlent en effet de ce que c’est que d’être une femme noire, lesbienne, dans un pays certes métissé, mais passablement conservateur. Bïa Ferreira, qui vit en couple avec une femme, raconte que la violence dirigée contre les personnes queers est monnaie courante dans son pays et a connu une recrudescence alors qu’il était dirigé par Jair Bolsonaro, politicien populiste que certains surnomment le « Trump brésilien ».

Sa propre trajectoire est marquée par cette homophobie. Bïa Ferreira est née dans une famille chrétienne d’un père pasteur et d’une mère cheffe de chœur « qui joue très bien du piano ». Son éducation musicale a donc commencé très tôt : piano et chorale à l’âge de 3 ans. « Ce que je préférais, c’était de jouer d’un instrument et de chanter en même temps », se rappelle-t-elle.

J’étais une enfant un peu hyperactive, j’aimais apprendre. Ce qui fait qu’aujourd’hui, je joue de 24 instruments. Je ne joue pas très bien de ces 24 instruments, mais un peu de ceci, un peu de cela.

Bïa Ferreira

Or, à l’âge de 13 ans, elle vit une rupture avec sa famille. « J’ai eu une grande conversation avec ma mère, je lui ai dit que je pensais que j’aimais les filles, pas les garçons, raconte Bïa Ferreira. Elle a perdu les pédales et m’a battue. »

Extrait de Dois Dedim
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Elle est restée dans cette maison où elle n’était plus la bienvenue jusqu’à l’âge de 16 ans. Puis, elle est partie à l’université et n’est jamais revenue. « Mes frères et mes sœurs sont super, dit-elle. Ils m’appuient et sont fiers de moi, mais mes parents sont toujours chrétiens et ils soutiennent Bolsonaro. Je représente tout ce à quoi ils s’opposent… »

De la parole aux actes

Bïa Ferreira a amorcé sa carrière de musicienne en parcourant son pays, développant sa manière frondeuse. Son identité de femme noire lesbienne est au cœur de sa création. Ses chansons – parfois portées sur le ton du spoken word – parlent de pauvreté, d’exclusion, de racisme, de sexisme et de révolte. Le ton est ferme et le regard, porté sur la réalité, sans flafla.

L’artiste de 30 ans ne lance pas des paroles en l’air. Ce qu’elle dénonce dans ses chansons qui puisent notamment dans le jazz, le funk, les rythmes brésiliens, le reggae et le rap, elle essaie de le changer. Que ce soit pour sa musique ou ses clips, elle s’entoure de femmes – de femmes noires, le plus possible. Critiquer, c’est bien, agir, c’est mieux à ses yeux.

Cet état d’esprit colle d’ailleurs à celui de l’album qu’elle publiera sans doute au milieu de l’été. « J’essaie de trouver de nouvelles façons de faire de l’art », explique-t-elle, évoquant un disque fait de rythmes brésiliens et de rap, au propos plus positif.

Extrait de Bençao de Prosperidade
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Plutôt que de parler de racisme et d’homophobie, elle veut célébrer ce qu’elle est et ceux qui lui ressemblent. « J’ai envie de dire : c’est bien d’être ce que nous sommes. On n’a pas besoin de souffrir, de ne parler que des choses négatives, de ce côté-là de l’histoire. »

Je veux dire combien je me sens aimée et forte avec mon groupe de femmes, avec mes semblables. Mon militantisme, c’est d’exister.

Bïa Ferreira

Bïa Ferreira croit que c’est en faisant partager son vécu et celui des siens qu’elle peut contribuer à une meilleure compréhension de son histoire et de celle des communautés auxquelles elle s’identifie. Ce qui constitue un défi, bien entendu, lorsqu’elle se produit dans des pays où sa langue, le portugais, n’est pas celle de la majorité.

« Je cherche des façons de mieux faire comprendre ce que je fais en dehors du Brésil, dit la musicienne, qui se produira en solo au Balattou. Je pense que la manière est très importante sur mon nouvel album, parce que je dois m’assurer de faire passer le propos, la force de ce que je chante. »

En concert ce jeudi, 21 h, au Balattou

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