Une «situation financière intenable» a eu raison de cette salle de spectacles indépendante du boulevard Saint-Laurent, emblématique de la musique émergente.

Gérée par une coopérative regroupant une dizaine de membres salariés et d'autres professionnels employés sur une base permanente, le Divan orange fermera ses portes au printemps 2018.

Depuis son ouverture il y a 13 ans, plus de 325 programmes ont été présentés annuellement au Divan Orange, plus de 10 000 prestations y ont été applaudies, mais les énormes difficultés à maintenir ce lieu en bonne santé financière ont mis hors de combat la petite équipe qui en menait les destinées.

Des piliers de la première ligne tels les membres fondateurs Lionel Furonnet et Carolyne Normandin avaient démissionné assez récemment, tout en poursuivant leur implication avec une intensité moindre. Les plus jeunes de l'organisation avaient constitué une nouvelle équipe sans pouvoir maintenir la barque à flot.

Plaintes pour bruit

«Plusieurs se rappellent qu'il y a trois ans, la locataire de l'étage supérieur avait multiplié les plaintes de bruit. Nous avions cumulé des amendes salées, cette saga avait duré plusieurs mois avant que l'on puisse conclure une entente avec la voisine afin qu'elle quitte les lieux», rappelle Julien Senez-Gagnon, barman qui compte parmi les responsables des communications au Divan Orange.

L'organisation avait alors reçu une aide de la Ville de Montréal, une somme de 25 000 $ qui lui avait permis d'insonoriser le local. Une somme similaire avait été octroyée à l'organisme Microfaune Mtl pour occuper l'étage supérieur.

À l'évidence, cette aide précieuse mais ponctuelle n'a pas suffi à pérenniser le Divan Orange.

«Devant la loi, le Divan Orange a le statut d'un débit d'alcool avec permis de salle de spectacle. Ce statut ne nous permet d'obtenir aucune aide auprès des pouvoirs publics, sauf exception, signale Julien Senez-Gagnon. Une salle de ce type ne peut acquérir une certification, soit une reconnaissance lui donnant accès à un financement public, elle ne répond pas aux critères des lieux subventionnés.»

Les seuls revenus de la coopérative proviennent de la vente d'alcool; dans la majorité des cas, la salle est louée aux promoteurs ou aux groupes qui conservent les revenus de la porte.

«Malgré notre grand capital de sympathie, personne ne peut nous aider, car il n'existe pas de précédent pour une salle de ce type. Nous, les artisans de ces salles, sommes laissés à nous-mêmes, sans aide récurrente.»

«Nous aurions essentiellement besoin de 10 % de notre chiffre d'affaires pour assurer notre survie et notre pérennité, estime Julien Senez-Gagnon. Ce manque à gagner n'a jamais pu être comblé, et notre dette accumulée nous a menés là où nous sommes. Quand on sait que des théâtres sont subventionnés à hauteur de plus de 60 %...»

«Grande fragilité»

Selon le responsable des communications, le Divan Orange s'inscrit dans la même catégorie que des salles indépendantes telles L'Escogriffe, le Quai des Brumes, l'Hémisphère Gauche, La Vitrola, La Casa del Popolo, Groove Nation, Le Ritz PDB, O Patro Vys, le Verre Bouteille... D'autres sont toutefois tombées au combat ces dernières années, comme L'Inspecteur Épingle, Les Bobards ou encore le Green Room.

«Certaines salles comparables à la nôtre survivent mais doivent pour la plupart évoluer dans un contexte de grande fragilité économique. Il est déjà difficile de faire marcher un bar, ça l'est d'autant plus lorsqu'un tel lieu doit assumer un mandat culturel. Notre personnel est aussi constitué de programmateurs, directeurs techniques, sonorisateurs, responsables aux communications, partenaires [l'école Musitechnic, notamment]. Cet environnement professionnel coûte très cher, d'autant plus que ces activités sont menées l'année durant.»

Pourtant, le Divan Orange ne souffre pas d'un déclin de son achalandage, fait observer Julien Senez-Gagnon.

«C'est plutôt un problème de reconnaissance; nous sommes dans une zone grise et nous avons déployé beaucoup d'efforts pour en sortir. Ainsi, nous avons planché sur un regroupement de salles de spectacles indépendantes, nous avons multiplié les contacts, plans d'affaires, montages financiers. Nous avons cogné à toutes les portes ! Deux campagnes de sociofinancement nous ont rapporté plus de 20 000 $...»

Malgré cela, les fonds manquent, l'équipe est épuisée, le Divan Orange vient de frapper un mur.

«Avec amour, nous avons donné des centaines d'heures de bénévolat, soupire Julien Senez-Gagnon. Là, j'ai des chèques de paie dans mes poches et je ne peux pas les déposer.»

Des réactions

«Nous sommes vraiment attristés par cette fermeture. Blue Skies Turn Black a une longue expérience de présentation de groupes formidables dans ce lieu. Le premier concert de Fleet Foxes en est un bon exemple. En tant que copropriétaire d'une autre salle indépendante [Le Ritz PDB], je partage des défis similaires et je compatis avec l'équipe du Divan Orange. Espérons que la Ville verra cette fermeture comme un coup porté à la communauté artistique montréalaise et travaillera plus dur pour aider les sites à prospérer et qu'elle ne les entravera pas.» - Meyer Billurcu, propriétaire de la compagnie de production Blue Skies Turn Black

«Tristesse et déception qu'une solution viable et durable n'ait pas été trouvée à temps pour ce lieu nécessaire et vital pour les artistes en devenir, mais aussi pour le public. Il y a eu des aides, le public est là, mais il n'y a pas de réelle volonté politique d'en faire un lieu permanent. Un certain gâchis, dirais-je.» - Mustapha Terki, fondateur et directeur de MEG Montréal, dont les bureaux ont été un bon moment au-dessus du Divan Orange, de concert avec l'organisme Microfaune

«Grande tristesse en apprenant cette nouvelle. Nous avons fait tant de shows dans cette merveilleuse petite salle. Tout notre coeur au Divan Orange!» - L'équipe de Greenland, producteur indépendant

«C'est un dur coup contre la scène de la musique indépendante à Montréal. Il y a eu plusieurs facteurs en jeu: gentrification entraînant une hausse du loyer, plaintes liées au bruit, etc. Je n'ai pas suffisamment étudié cela, mais la nature solipsiste du consumérisme, le divertissement personnalisé, la liste de lecture sans fin semble faire que de moins en moins de jeunes assistent aux spectacles de musique vivante et émergente. C'est inquiétant... et un peu effrayant, pour être honnête.» - Daniel K Seligman, fondateur et directeur artistique de Pop Montréal