Sauf à emprunter des réseaux underground pour un public très ciblé, vendre de la musique étrangère au Japon est devenu mission impossible: les jeunes Nippons n'écoutent plus les sons venus d'autres horizons, ils ont la J-Pop.

«J'ai commencé à importer de la musique au Japon il y a une quinzaine d'années, mais depuis cinq, six ans, c'est très compliqué», déplore Jay Zimmermann du label nippon UMAA.

De fait, 87% des recettes de la musique au Japon proviennent de la production locale.

«Le marché est vraiment dominé par les artistes locaux, par les «idoles», ces starlettes fabriquées sur mesure pour un public juvénile captif, un genre envahissant, omniprésent et d'une efficacité commerciale terrible», constate M. Zimmermann.

Des groupes de nymphettes comme AKB48 et ses déclinaisons (HKT48, etc.) monopolisent les palmarès japonais depuis des années et vendent leurs CD par millions.

Seuls font exception les jeunes Britanniques de One Direction et certains groupes sud-coréens de «K-Pop».

L'exploitation commerciale de «Boys ou Girls bands» ne date pas d'hier: elle remonte aux années 1960-1970, ce qui n'empêchait pas les Japonais d'en pincer aussi pour Sylvie Vartan, Françoise Hardy, Jane Birkin, Gainsbourg, Adamo, Brel ou Aznavour, et côté pop et rock, les Beatles, les Rolling Stones, Bowie ou Dylan...



«L'apparence compte aussi»


Nicolas Ribalet, le promoteur du festival de world musique Sukiyaki Meets the World a une autre explication: «La musique japonaise a beaucoup évolué et a fait un bond qualitatif ces dernières années. Elle satisfait mieux le public qui, de fait, se tourne moins vers l'extérieur».

Yoshinori Hirayama, organisateur du plus important festival international de rock au Japon, le Summer Sonic, juge même que «les artistes nippons s'inspirent de ce qui se fait ailleurs tant et si bien que le public ne juge plus nécessaire d'écouter autre chose».

Selon M. Zimmermann, «le fait de ne pas comprendre les paroles étrangères est aussi un frein» pour les Japonais.

Par ailleurs, «pour susciter l'attention au Japon, il ne faut plus se contenter de mettre des CD en rayon, il faut présenter un vrai concept, donner des informations sur l'univers de l'artiste car les Japonais sont curieux, exigeants», observe Charles Rognet, directeur du Bureau Export de la musique française à Tokyo.

«Ils veulent que les artistes s'adressent à eux spécifiquement, c'est-à-dire avec des chansons uniquement destinées au Japon, avec des paroles traduites ou d'autres petites attentions qui montrent que l'artiste les considère avec respect», relève-t-il.

L'apparence des chanteurs et musiciens compte aussi, souligne M. Zimmermann, du label UMAAM. «On m'a parfois retoqué des photos qui ne satisfaisaient pas les critères esthétiques locaux. Les Japonais trouvent que les chanteurs étrangers sont un peu négligés et font vieux comparés aux Adonis de la J-Pop», précise ce producteur et musicien à ses heures.



La voie underground


Pour autant, selon l'organisateur de festival Sukiyaki Meets the World, «les Japonais vont recouvrer le goût de la musique étrangère».

Les collaborations avec des artistes locaux et la scène, via les festivals, peuvent constituer une porte d'entrée sur le marché nippon. Certains artistes étrangers se font ainsi une petite place au Japon même s'ils sont inconnus chez eux.

Exemple: Uchronie. Ce groupe de rock amateur français réussit l'exploit d'enchaîner des dizaines de concerts depuis trois ans dans l'archipel nippon.

«On a 70 soirs au compteur», se réjouit Gaël Segear, chanteur qui par ailleurs importe du saké en France. «C'est parce qu'on propose un spectacle vivant», affirme le guitariste Gilles Bessou.

Tout a commencé via un festival où les rencontres ont fait entrer le groupe français dans un réseau «underground» d'artistes japonais et étrangers qui leur a ouvert les portes de cafés, de «live houses» (clubs japonais où se produisent des artistes) et d'autres scènes.

Uchronie travaille avec des musiciens japonais et fait des emprunts à la culture locale: le comédien et membre du groupe François Genty s'inspire des techniques du «butô», une forme théâtrale de danse japonaise créée dans les années 1960.

«On s'intéresse aux Japonais et ils le sentent», se félicite Emilie Auberto, comédienne et chanteuse d'Uchronie.