Les palmarès des ventes d'albums au Canada sont sur le point de vivre leur «révolution du streaming», a appris La Presse. Le marché canadien pourrait entamer d'ici quelques mois le même virage que le géant Billboard aux États-Unis, où les chansons achetées à la pièce et la libre écoute de musique sur l'internet sont dorénavant comptabilisées dans les ventes d'albums.

Chaque semaine, l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) publie son classement des ventes de disques francophones et anglophones au Québec. Mais les artistes dont les CD se vendent très bien pourraient bientôt avoir de la concurrence de leurs collègues qui cartonnent essentiellement sur le web, si on en croit ce qui se discute en coulisse.

Dès mercredi, le palmarès Billboard - qui est basé sur les données compilées par la société Nielsen - modifiera sa méthodologie pour y intégrer le streaming et les chansons vendues à la pièce. Dix téléchargements payants d'une même chanson seront désormais comptabilisés comme un album vendu, tout comme 1500 écoutes en streaming sur des sites comme Spotify. «Il s'agit de la mise à jour la plus importante de notre méthodologie depuis 23 ans», a affirmé l'entreprise.

Selon nos informations, Nielsen rencontrerait ces jours-ci les principaux acteurs canadiens de l'industrie musicale afin de voir si de tels changements les intéressent.

«Je ne pense pas que ce sera fait d'ici la fin de l'année, mais il y aura certainement une nouvelle façon d'intégrer ces nouvelles données, ultimement», a expliqué à La Presse Solange Drouin, vice-présidente aux affaires publiques et directrice générale de l'ADISQ, peu de temps après avoir été approchée par Nielsen à ce sujet.

Des palmarès en pleine mutation

Avec l'arrivée d'une nouvelle méthodologie et des données plus précises, les classements publiés par l'ADISQ évolueront grandement au cours des prochains mois, a expliqué Mme Drouin.

L'association distingue pour l'instant les ventes d'artistes francophones et anglophones, mais il serait bientôt possible de multiplier les palmarès pour les artistes québécois, les francophones hors Québec ou outremer, et ainsi de suite.

En entrevue avec La Presse, le directeur des opérations de la division canadienne de Nielsen, Paul Tuch, s'est gardé de préciser l'échéancier de tels changements.

«Dans l'adoption de nouvelles technologies et la libre écoute de musique sur l'internet, le Canada accuse un retard d'environ 12 mois sur les États-Unis, mais la progression est rapide. Les ventes numériques ont diminué pour la première fois cette année, notamment en raison de la popularité du streaming», a expliqué M. Tuch.

«Toutefois, si on me demande d'avancer une hypothèse, je dirais que ça ne prendra pas 12 mois avant que cette nouvelle réalité ne se reflète dans la méthodologie utilisée pour nos palmarès. Nous rencontrerons les gens de l'industrie de la musique et nous serons à l'écoute de leurs besoins», a-t-il ajouté.

Les idoles des ados favorisées

Cette semaine, le Washington Post expliquait comment la nouvelle méthodologie utilisée par Nielsen pour le palmarès Billboard servirait principalement les artistes qui sont populaires auprès des jeunes, qui s'abreuvent principalement de musique sur l'internet. Un tel phénomène est-il observable au Québec?

«Le streaming favorise plutôt ici les pièces qui ne sont pas nécessairement récentes, comme Dégénérations de Mes Aïeux, par exemple. Ceux qui travaillent sur le sujet dans les universités me disent que notre réalité est peut-être différente», a dit Solange Drouin.

Martin Bonneau, chercheur à la Chaire de recherche du Canada sur les nouveaux environnements numériques et l'intermédiation culturelle de l'Institut national de la recherche scientifique, abonde.

«Le Québec a toujours été un marché particulier. Des sites comme Spotify intéresseront beaucoup monsieur et madame Tout-le-Monde qui veulent écouter des chansons dans leurs temps libres, au fur et à mesure qu'ils se familiariseront avec ce mode d'écoute. Le streaming est particulièrement séduisant pour ce genre de public qui écoute la radio et achète un ou deux albums par année. On s'attend à ce qu'ils migrent rapidement.»