Même s'il roule sa bosse depuis les années 60, le chanteur Lee Fields n'est sorti de l'anonymat que tout récemment à la faveur de la renaissance de la musique soul. Conversation avec un passionné.

Ceux qui ont vu Lee Fields en spectacle à Pop Montréal il y a trois ans en gardent un souvenir vibrant et il y a fort à parier qu'ils se précipiteront à L'Astral pour revoir le soul man du New Jersey le 3 mai.

Fields n'est pas un nouveau venu. Dès les années 60, il lançait des 45 tours qui, s'ils ont eu un certain impact, n'en ont pas fait un artiste établi. Il faut dire qu'à l'époque, les bons chanteurs de soul, de rhythm and blues et de funk ne manquaient pas. Loin de se démarquer, le chanteur originaire de la Caroline-du-Nord était surnommé «Little J.B.».

«Au début, j'admirais tellement James Brown que je reprenais plusieurs de ses chansons, dit Fields au téléphone à quelques jours de sa participation au Jazz and Heritage Festival de LaNouvelle-Orléans. Mais j'ai appris au fil des ans que pour qu'une personne brille vraiment, il faut qu'elle se trouve. Donc même si James Brown m'a beaucoup influencé, tout comme Otis Redding, Wilson Pickett, Solomon Burke, Percy Sledge et plusieurs autres, il faut trouver sa place parmi ces artistes. À force de chercher, je me suis trouvé.»

Si Lee Fields refait surface depuis quelques années c'est aussi parce que ses derniers albums, dont le tout récent Faithful Man, sont réjouissants et qu'ils respirent l'authenticité. D'autant plus que la soul vintage, avec cuivres, orgue et tout le reste, n'a jamais été aussi en demande que depuis que la Britannique Amy Winehouse en est devenue l'ambassadrice un peu malgré elle.

«Absolument! Amy Winehouse a amené ça à un autre niveau, reconnaît spontanément Fields. Elle a élevé la barre. La première fois qu'elle est venue à New York pour chanter à Joe's Pub, ses musiciens m'ont appelé pour m'inviter, mais, malheureusement, je donnais un show ce soir-là. J'aurais vraiment aimé y aller et faire sa connaissance.»

«Brooklyn soul city»

Winehouse a enregistré une partie de son album Back To Black avec le réalisateur Mark Ronson à Brooklyn, avec certains des musiciens qui ont joué avec Lee Fields. «Brooklyn soul city», comme le dit Fields en riant, est devenue un carrefour important pour les artisans de cette musique de l'âme et des tripes. Tant et si bien que des chanteurs qui évoluaient dans l'ombre depuis des années ont profité de cette renaissance en s'associant à de jeunes musiciens, comme Sharon Jones avec les Dap-Kings.

Fields s'en réjouit d'autant plus que cette autre survivante était l'une de ses choristes dans les années 90: «Quand quelqu'un reprend le flambeau et le porte bien haut, ça me fait tellement de bien! J'ai commencé dans les années 60, mais je n'ai jamais arrêté. J'ai eu une période creuse dans les années 80, mais je dirais que ce que je fais aujourd'hui avec les Expressions est la vraie affaire.»

Avec ses «fils musicaux», Fields crée une musique organique à haute teneur en vitamines qui pourrait n'être qu'un pastiche ou pire, une caricature, si elle n'était pas aussi sentie. Dès la toute première chanson de Faithful Man, qui donne son titre à l'album, l'amateur de soul est séduit et en redemande. Mais il y a également sur cet album une surprise: la chanson Moonlight Mile, empruntée aux Rolling Stones, et qui ne pouvait certainement pas être qualifiée de soul dans sa mouture d'origine sur l'album Sticky Fingers. Fields explique: «C'est une super idée de la jeune équipe qui m'entoure. J'ai toujours été un grand fan des Rolling Stones. Les jeunes m'ont donné le texte et j'en ai fait ma propre interprétation.»

Pour Lee Fields, la soul est avant tout affaire de passion. Mais le sexagénaire reconnaît que sa vaste expérience de la vie lui donne un avantage certain que le jeune chanteur soul des années 60, si passionné qu'il ait été, n'avait pas.

«Je peux aujourd'hui raconter des histoires plus étoffées avec les mêmes mots, mais en y mettant juste ce qu'il faut d'émotion. On dit parfois que nous sommes de la vieille école, mais les jeunes doivent se rendre compte qu'aujourd'hui il n'y a rien de neuf sous le soleil. Par contre, j'y ajoute ma propre touche parce que je suis en contact avec la jeunesse à travers mes musiciens. Je vois la vie comme un enfant, avec un esprit ouvert. Certains pensent tout connaître. Moi, je sais que j'ai encore beaucoup à apprendre.»

Lee Fields & The Expressions, à L'Astral, le 3 mai à 20 h.