Il est difficile d'arriver au sommet, mais il est encore plus difficile d'y rester. Gros cliché, qui ne cesse de se vérifier dans le monde de la musique populaire. Le succès fait des victimes. Mais l'abîme entre la réussite et l'échec n'est parfois qu'une question de perceptions.

Okoumé a déjà été l'un des groupes les plus populaires du Québec. Propulsé par Dis-moi pas ça, tube de l'été 1997, il a vendu 150 000 exmplaires de son disque éponyme et 50 000 billets pour la tournée Où est-ce qu'on va prendre l'argent? Cinq ans plus tard, l'aventure était terminée.

Plan B, album audacieux qui tranchait avec le folk du premier disque, a coulé le groupe, se disait-on à l'époque. Éloi Painchaud, lui, n'a jamais vu les choses comme ça. «Si j'avais à nommer une chose qui a mis un terme à Okoumé, ce ne serait pas que Plan B s'est vendu seulement 50 000 copies, assure-t-il. On trouvait ça cool que le tiers du monde nous ait suivi, on s'attendait à moins que ça!»

L'entourage du groupe n'a pas trouvé ça aussi cool. «Il s'est mis à y avoir plus de meetings que de musique», se rappelle le musicien. Les gens de marketing constataient que «la balloune se dégonflait». Les musiciens, alors en plein trip créatif, ont décidé qu'il n'était pas question que l'admnistration prenne le dessus.

«On savait qu'on allait entrer dans une période de compromis», expose Éloi Painchaud. Dix ans plus tard, il n'y a aucun doute dans son esprit: Okoumé, c'est l'histoire d'un «très grand succès». Même s'il fut de courte durée.

Le boulevard des rêves brisés

Le cas d'Okoumé n'a rien d'exceptionnel. Les étoiles filantes ont toujours été plus nombreuses que les icônes durables. «C'est vrai depuis l'époque de Frank Sinatra où la musique populaire est diffusée par des médias de masse», affirme Guylaine Maroist, productrice de documentaires et spécialiste de la musique.

Des exemples? Facile: Alanis Morrissette, le groupe américain Evanescence, The Lost Fingers, Wilfred LeBouthillier et quelques autres finalistes de Star Académie ou lauréats du Félix «Révélation» à l'ADISQ. Guylaine Maroist pense aussi à une foule de chanteuses à voix des années 60 ou 70: Céline et Liette Lomez, Marie-Ève, Annabelle...

«Annabelle a eu un vrai gros succès pendant deux ou trois ans. On parle de record de vente de 45-tours, précise-t-elle. Aujourd'hui, plus personne ne sait qui c'est. Et il y en a plein comme ça.» Guylaine Maroist en connaît un rayon sur les succès météoritiques, puisqu'elle a rencontré près de 200 anciennes vedettes afin de rééditer le catalogue pop et yé-yé de Denis Pantis.

«J'avais l'impression d'être sur le boulevard des rêves brisés, dit-elle. Pour la plupart, ç'a été dévastateur. La plupart étaient sur un déclin depuis ce temps-là. Depuis l'âge de 20-21 ans...»

Éloi Painchaud a aussi connu «un creux de vague» après Okoumé. Il utilise l'image de l'astronaute qui redescend sur terre après un long séjour dans l'espace. «J'ai dû passer par une couple de paliers de décompression, dit-il. Mais j'ai très vite compris que je voulais encore faire de la musique.»

L'ère des vedettes jetables

Est-il plus difficile qu'avant de se maintenir au sommet? «Tout bouge plus vite aujourd'hui», croit Guylaine Maroist. La société entière est entrée dans l'ère des «15 minutes de célébrité» que prédisait en 1968 Andy Warhol, icône du Pop art, estime Éloi Painchaud. «Tu as 15 minutes, pas une de plus!» dit-il en riant.

Les artistes qui ont émergé au cours des 15 dernières années auraient ainsi plus de difficulté à s'attacher un public fidèle. «C'est normal, il n'y a jamais eu autant d'offre, analyse Mario Lefebvre, président de FlairMic. En 1977, chez Warner, qui était la plus grande compagnie de disques au monde, on sortait 200 albums par année. Il en sort 400 par semaine sur iTunes. J'exagère un peu, mais l'offre est telle que le public peut constamment renouveler ses choix.»

Les chanteurs qui sont aussi des créateurs s'en tirent mieux à long terme, croit toutefois Guylaine Maroist. «Daniel Boucher, j'ai l'impression qu'il va toujours avoir une carrière, alors que pour d'autres, il n'y a plus rien», dit-elle.

Éloi Painchaud passe désormais sa vie en studio où il réalise des disques pour une variété d'artistes, d'Antoine Gratton au groupe traditionnel Visthen, en passant par Elisapie Isaac. «Je fais plus de musique aujourd'hui que j'en faisais à l'époque d'Okoumé, se réjouit-il. C'est toute une récompense que la vie m'a donnée.»

La fin du rêve américain?

«J'ai l'impression que les jeunes musiciens ou auteurs-compositeurs fondent moins d'espoirs sur l'énorme succès lucratif, suggère encore Guylaine Maroist. Les années 90 ont été extrêmement lucratives pour certains artistes, comme Éric Lapointe. Aujourd'hui, je ne suis pas sûre qu'un Antoine Gratton espère devenir riche avec la musique.»

En phase avec leur époque, les jeunes artistes seraient plus à l'aise avec l'idée de vivre plusieurs vies. «Tu peux être biologiste, être super bon en musique, vivre ton trip et passer à autre chose. Les gens sont moins cloisonnés dans leur tête, pense-t-elle. Les gens sont plus conscients de l'éphémère de la chose.»

SIX ARTISTES

Daniel Boucher

La désise a fait une star de Daniel Boucher: Prix Félix-Leclerc, ainsi que les Félix Révélation et Auteur ou compositeur de l'année en 2000.

La suite: Aucun de ses albums subséquents n'a franchi le cap des 50 000 exemplaires vendus. Il partage son temps entre ses chansons et des comédies musicales (Dracula, Les filles de Caleb).

Garou

Révélé par Notre-Dame de Paris, Garou a connu un début de carrière solo triomphal avec son album Seul.

La suite: Peu présent au Québec, il mène une carrière toujours florissante en Europe, notamment en France et en Pologne où il a été sacré «meilleur artiste masculin international» en 2003.

Gabrielle Destroimaisons

Propulsée par sa chanson-titre, l'album Etc. s'est écoulé à plus de 100 000 exemplaires et lui a valu le Félix Révélation de l'année en 2001.

La suite: sa carrière d'interprète sur disque a du plomb dans l'aile, mais elle s'est produit ces derniers mois dans la revue musicale Girls Wanna Have Fun avec Andrée Watters et Élizabeth Blouin-Brathwaite.

Mitsou

Dis-moi, dis-moi, Lettre à un cowboy, Les Chinois, Bye bye mon cowboy, Mitsou a multiplié les tubes au tournant des années 90.

La suite: Sa carrière musicale n'a jamais retrouvé le même lustre depuis. Mitsou demeure toutefois bien présente à titre d'animatrice à la télé et à la radio. Elle prépare de nouvelles chansons, selon son site internet.

Wilfred LeBouthillier

Star Académie en a fait une... star. Son premier disque solo s'est vendu à plus de 200 000 exemplaires et il a fait le Centre Bell.

La suite: Comme d'autre participants de l'émission, son rayonnement a rapidement diminué et ses albums de 2006 et 2009 ont connu un rentissement bien moindre.

Pascale Picard

Avec Me, Myself&Us (150 000 disques vendus), Pascale Picard a fait la preuve qu'une francophone pouvait s'illustrer en anglais au Québec et même en France où elle a beaucoup tourné.

La suite: Son deuxième disque, paru en juin 2011, s'est écoulé à moins de 25 000 exemplaires pour le moment. Elle retrouvera peut-être la faveur des radios et du grand public avec la trame sonore de la série Trauma 3, publié fin février.