Novembre 2005. Entrevue avec Francis Mineau, le batteur de Malajube, dans un café de la l'avenue Fairmount. Son groupe est en plein enregistrement de l'album Trompe-l'oeil. Le E.P. Le compte complet, sorti un an plus tôt, fait grand bruit: c'est de la dynamite pop-rock qui ne ressemble à rien d'autre. Dare to Care Records avait d'abord gravé 1000 disques, mais plus de 6000 ont été vendus au final.

Quelques jours avant notre rencontre avec Francis Mineau, Pierre Lapointe avait fait l'éloge de Malajube lors du gala de l'ADISQ, dans une sortie contre les radios commerciales. «C'est drôle que Malajube, qui n'a rien à voir avec l'ADISQ, se retrouve là», nous avait alors dit le batteur.

C'était avant le succès d'estime et populaire de Trompe-l'oeil, vendu à plus de 50 000 exemplaires et qui a fait l'objet de critiques aux États-Unis par les Pitchfork, Spin et compagnie.

En 2011, Malajube est au-devant de la scène rock québécoise. «Mais Pierre Lapointe est toujours plus big que nous!» blague Francis Mineau.

La tournée de Trompe-l'oeil a duré presque deux ans: un total de plus de 260 spectacles dans près de 150 villes de 16 pays séparés entre trois continents. «Je sais maintenant que je ne veux pas tourner partout dans le monde. Je veux faire des albums. On s'est trop privé», avait dit Julien Mineau à La Presse, en décembre 2007, quelques jours avant un dernier rassemblement au Métropolis.

Pour son successeur, Labyrinthes, Malajube a pris un virage exploratoire, avec des chansons qui abordaient des thèmes comme la maladie et le deuil. «On voulait faire un disque de jam lugubre, raconte aujourd'hui Julien. Avec la grosse tournée de Trompe-l'oeil, on s'est tannés. Mais jouer des chansons lourdes, c'est long aussi.»

«Labyrinthes, c'était une étape, enchaîne Francis Mineau. Ce ne sont pas les chansons les plus durables en spectacle. On a de la misère à les placer dans le set

Les membres de Malajube ne renient pas Labyrinthes pour autant et ils voient La caverne comme une synthèse de leur art. «Les bons points de chaque album sont là. Avec Labyrinthes, on a appris à faire des textures plus vaporeuses, explique Julien Avec La caverne, il y avait une intention de faire de la musique joyeuse, de faire des mélodies qui sont bonnes et qui restent dans la tête, mais qui ne sont pas achalantes.»

Faire des compromis

Avec des titres comme Cro-Magnon, l'album trace une thématique d'une chanson à l'autre. «Toutes les chansons ont un champ lexical de la préhistoire, de l'homme qui devient mêlé au plastique, explique le chanteur. Ça doit venir d'une réflexion sur moi-même. Quand j'étais jeune, je pensais être dissocié de l'animal, mais dans le fond...»

Crise de la trentaine? Oui, Julien a quitté la vingtaine il y a deux semaines. Mais c'est surtout le constat que ses complices et lui gagnent leur vie avec la musique, qui est une science dure et inexacte. «Ça prend de bonnes critiques aux États-Unis pour que ça marche, dit-il. Ça dépend de Pitchfork...»

Avec son grand flair pop, Malajube pourrait très bien faire un album ultra pop avec des ballades irrésistibles comme Étienne d'août (qui figurait sur Trompe-l'oeil). «On garde ça pour dans six ans», blague Mathieu Cournoyer.

Certains textes de La caverne font état de cette ambivalence entre l'authenticité et le «plastique», entre la création et le show-business. Sur Cro-Magnon, Mineau chante: «Feu de joie, ou feu de paille?/J'ai mis le doigt dans la faille/Je le fais pour qui/Tu le fais pour quoi/Parce qu'à la longue/On s'ennuie dans la loge/Je suis mon seul sauveur/Je crée mon propre malheur.»

Mais au-delà du propos, Cro-Magnon est une chanson dont la mélodie, le rythme et les arrangements de claviers séduisent l'auditeur dès la première écoute, sans tomber dans la recette facile. Il en est de même pour Synesthésie, Le blizzard et Chienne folle.

Pour l'enregistrement de La caverne, Malajube a passé deux mois dans une maison de Morin Heights. «On était dans un dôme géodésique, dans une maison postmoderne de 1981», explique Thomas Augustin. Non seulement les musiciens étaient-ils entourés de murs de stuc, mais ils étaient en plein milieu du bois. «C'était une maison avec des pièces non conventionnelles et des formes géométriques bizarres. On s'est monté un studio... C'était très inspirant.»

Malajube multipliera les spectacles au cours des prochains mois. Toronto, New York et Osheaga sont notamment au programme. Mais que le groupe s'exporte avec succès au-delà du Québec ou non, il a le mérite de varier ses coups d'un album à l'autre... en frappant toujours fort.

Malajube sera en spectacle mardi et mercredi à La Tulipe.

Les membres de Malajube par eux-mêmes

> Julien sur Thomas

«Thomas, c'est le musicien, c'est celui qui a le plus de background musical. Tu peux lui demander n'importe quoi: il va le trouver et le faire en une seconde. Thomas a le côté jovial de Mathieu. Il ne pétera jamais sa coche.»

> Mathieu sur Francis

«Francis, c'est un gars organisé, mais en même temps, il est un peu mystérieux. Tu marches et il entre dans un magasin de disques. Il va dans le bois et ressort avec un sac de champignons (...) Il a beaucoup de connaissances générales, ça m'a toujours impressionné. Quand on joue à quelque chose, c'est toujours lui qui gagne.»

> Francis sur Mathieu

«Mathieu, c'est celui qui tempère le groupe quand il y a des excès de n'importe quoi. Il ramène les choses à l'ordre sans que ça paraisse trop. Il n'est pas dictateur: il fait ça en douce. C'est une force tranquille.»

> Thomas sur Julien

«Julien, c'est un personnage très créatif et c'est sa grande force. Il est dans sa bulle et il est tout le temps en train de créer ou de faire quelque chose, que ce soit un dessin, retaper un piano antique, écrire des chansons pour le fun ou pour vrai. Il aime les vieilles affaires: c'est un ramasseux et un patenteux.»