Tanya Tagaq joue, tourne, peint, bouge, pose, chante, émeut, choque, attendrit, déstabilise, émerveille, démobilise, fédère.

Dans le cas qui nous occupe cette semaine, le médium dominant son expression multi-disciplinaire est la musique.

Hormis le chant de gorge dont elle s'est approprié la technique traditionnelle «sous la douche» alors qu'elle complétait des études en arts visuels à Halifax, l'Inuk improvisera quatre soirs consécutifs au Théâtre La Chapelle, de concert avec le violoniste Jesse Zubot et le percussionniste Jean Martin. Le trio use également de procédés électroniques, exploitant ainsi toutes les possibilités qu'offre la lutherie contemporaine.

Charnel, violent, câlin, doux, onirique, bestial, spirituel.

Tout ce qui émerge de l'humain peut émerger de Tanya Tagaq, dont la carrière fut propulsée à l'échelle internationale en 2004. La vidéo d'une de ses premières performances parvint miraculeusement à la célébrissime Björk qui la recruta par la suite pour une tournée dans la foulée de l'album Medulla. Pour la performer inuk, le réputé Kronos Quartet a aussi créé un accompagnement sur mesure.

«Je m'estime très chanceuse d'avoir pu travailler avec ces artistes à un stade si précoce de ma carrière. Björk a été très généreuse à mon égard, très gentille en plus d'être très humble. Des qualités humaines exceptionnelles! Depuis sa rencontre, je ne peux supporter quiconque manque d'humilité! Avec le Kronos Quartet, ce fut aussi une très belle expérience humaine. Je collabore encore avec cet ensemble, d'ailleurs.»

Inutile d'ajouter que Tanya Tagaq exerce un pouvoir attractif exceptionnel, qu'elle draine auprès de différentes scènes et différents publics, de la musique contemporaine à la pop de création. On ne s'étonnera pas que Buck 65 et Mike Patton aient participé à son album Auk/Blood, créé au cours de l'année 2007 et lancé en 2008.

Sur scène, le trio qu'elle forme avec Jesse Zubot et Jean Martin est le véhicule principal de son expression.

«L'évolution de ma musique est intimement liée à ma relation avec ces proches collaborateurs. Au fil du temps, nous avons atteint beaucoup de profondeur, bien qu'il me soit difficile de décrire exactement les formes de cette expression.  Nous avons certes développé chacun nos points de repère mais nous essayons de raconter chaque fois une nouvelle histoire.

«Nous répondons de mieux en mieux à nos signes respectifs. Nous avons certes développé un langage commun dont nous avons du mal à préciser la nature. Non, ce n'est pas une musique autochtone. Ce n'est ni électronique ni jazz. Ce qui est intéressant, en fait c'est l'imprévu auquel nous faisons face chaque soir. Nous ne savons jamais si le volume sera au maximum ou si la performance sera ténue au minimum. Nous sommes le reflet esthétique de ce qui nous habite ici et maintenant. N'est-ce pas l'objet de l'art?»

Tanya Tagaq insiste sur la qualité de la relation avec ses collègues: «Je connais Jesse depuis une dizaine d'années. J'ai toujours été émerveillée par ce qu'il fait musicalement. Après quoi il m'a présenté Jean. Nous avons beaucoup de plaisir ensemble. Notre relation humaine est très ludique, très amusante et pourtant nous tendons à jouer des musiques sombres. Sur scène, nous oublions tout ce que ma vie quotidienne nous réserve. Personnellement, je m'y sens très ouverte, très connectée à mon inconscient. C'est pourquoi j'apprécie autant me retrouver sur scène.»

Elle laisse la tâche aux spécialistes de préciser la nature de son projet esthétique, essentiellement instinctif.

«Mon art consiste essentiellement à exprimer ce que je ressens à la seconde près. Il y a dix ans, j'étais une personne différente, j'imagine que mon expression a suivi le cours de ces changements.

«Vous savez, ma vie entière est un peu chaotique. Je ne suis aucune règle, aucun plan. Il m'importe simplement de ressentir le moment opportun pour faire les choses. J'aime que ce soit ainsi. Prenez la préparation de mon nouvel album. Ça commence à prendre forme... À un certain stade, j'estimerai qu'il faudra passer en studio. Quand exactement? Je ne sais pas.»

Aurez-vous deviné que Tanya Tagaq, qu'on a jointe à Yellowknife, ne croit pas représenter les Inuits de l'Arctique canadien.

«Tant mieux si les gens m'associent à mon peuple après avoir aimé mon travail mais... ce que je propose ne représente que moi-même. Je suis très fière et très heureuse d'être inuk, mais je n'ai aucunement la prétention de représenter cette culture dans son ensemble.»

Tanya Tagaq se produit au Théâtre La Chapelle quatre soirs consécutifs, de mardi à vendredi.