Après le conte, la littérature et le cinéma, Fred Pellerin retourne à la musique avec un premier disque solo, Silence. Discussion sur le délire langagier, la route qui étourdit et la beauté du «tout croche».

«Je ne travaille pas sur un projet artistique. Je travaille sur un projet humain. J'essaie de faire quelque chose de fun avec ma vie», raconte Fred Pellerin au téléphone, à bord de sa voiture. Il roule près de Rimouski, où se poursuit la tournée de son récent spectacle de contes, L'arracheuse de temps.

 

On vient tout juste de lui envoyer par autobus un colis avec son premier disque solo, Silence. «Depuis quelques années, je zigonne plein de chansons à gauche et à droite. Parfois avec des amis dans des soirées, parfois sur scène pour laisser le monde respirer entre deux délires langagiers. J'ai fini par vouloir les enregistrer, simplement. Ça finit là. Aucune tournée n'est planifiée. Je n'ai pas le temps ni vraiment l'envie», explique-t-il.

Le disque propose des reprises de Leclerc (Douleur) et Vigneault (Quand vous mourrez de nos amours), des extraits du répertoire, des compositions de contemporains ainsi qu'une poignée de ses propres chansons. «Je sais que j'ai l'air de faire 56 000 trucs en même temps, mais c'est parce que tout m'allume», lance-t-il.

Le disque détonne de l'univers de ses contes et de leur transposition en livres et films. Rien à voir avec ces fantasmagories. Silence est un mélange de quiétude et de moments sombres, dont la beauté est magnifiée par son fragile filet de voix.

Une bouteille de vin à la fois

Pellerin a enregistré le disque avec son ami Jeannot Bournival (Les Tireux d'roches). «Jeannot vit juste à côté de chez nous à Saint-Élie, raconte-t-il. Quand on était tranquille le soir, on s'appelait pour déboucher une bouteille de vin et travailler sur des tounes dans son studio maison. Il écrivait des arrangements et on jammait là-dessus.»

Musicalement, le résultat est plus folk et moins trad que son seul autre disque, celui en duo avec son frère Nicolas (écoulé à plus de 40 000 exemplaires).

Silence s'est-il réalisé rapidement? «Ç'a été une longue gestation de 13 mois, répond-il. On travaillait pendant nos temps libres, au rythme d'une bouteille de vin par toune enregistrée. J'adorais m'enfermer en studio avec Jeannot pour faire du polissage et de l'enculage de notes.»

Le résultat ne ressemble toutefois pas à un trip de studio. La réalisation est très ronde, presque brouillonne. Elle s'inspire d'un de ses disques fétiches, Nebraska de Springsteen. On entend jusqu'au bruit des doigts sur les cordes. «C'est monté tout croche, et c'était voulu, observe-t-il. Tu sais, je ne suis vraiment pas un musicien de haute voltige. Ils mettent un métronome et quatre clics plus tard, je suis déjà en dehors. Mais ce n'est pas grave. Ce qui comptait pour moi, c'était de capter un moment.»

Trois chansons

Fred Pellerin a écrit seulement trois chansons dans sa vie. Elles se trouvent toutes sur Silence, à commencer par la pièce titre. «Elle date d'environ 10 ans, quand j'étudiais à l'université. Je la cachais par gêne. Il a fallu que je l'entende sortir de la bouche d'Elisapie Isaac - qui l'a enregistrée - pour que je la redécouvre», avoue-t-il.

Les deux autres sont Les Marie (une berceuse pour ses filles) et L'alouette. «Celle-là, c'est une méchante affaire, rit-il. Un soir de brosse il y a 10 ans, je jouais au théâtre avec Bryan Perro. On a fini la veillée sur le bord de la rivière. On chantait n'importe quel poète avec les mêmes deux accords d'accordéon en valse. Pour toi mon amour de (Jacques) Prévert fonctionnait parfaitement, mais on n'avait pas les droits pour l'enregistrer. Alors j'ai écrit ce texte-là, pas mal lourd, qui parle de rêves déchirés.»

Pellerin s'identifie davantage aux mots des autres, surtout ceux de Mille après mille, chanson traditionnelle que son père a déjà jouée avec Willie Lamothe, et Là-bas de ses amis Manu Trudel et Renée Houle.

«Ça parle de la dichotomie entre la ville et la campagne, la neige brune et la neige bleue, explique-t-il. Moi, je voyage quatre fois par semaine de Saint-Élie à Montréal. La chanson dit tout ce que je ressens face à la rencontre de ces deux mondes. Et en plus, elle est belle.»

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TRADITIONNEL

FRED PELLERIN

SILENCE

DISQUES

TEMPÊTE/DEP