George Wein a fondé l'un des premiers festivals de jazz, à Newport en 1954. À la fin des années 70, le pianiste aujourd'hui âgé de 83 ans avait tenté de décourager Alain Simard de lancer un festival du genre à Montréal. Trois décennies plus tard, le voilà en ville pour présenter ses Newport All Stars. La Presse l'a rencontré, histoire de savoir ce que ce pionnier pense du jazz d'aujourd'hui.

«Les jeunes musiciens de jazz d'aujourd'hui suivent tous une formation musicale poussée», constate George Wein qui en a vu défiler des jazzmen depuis qu'il a fondé le Newport Jazz Festival en 1954; 11 000 personnes y avaient applaudi Ella Fitzgerald, Billie Holiday et Dizzie Gillespie, des autodidactes comme la plupart de leurs contemporains.

Il y a du bon et du moins bon dans l'académisme moderne, selon le producteur, imprésario et musicien de 83 ans. D'abord, la formation augmente les connaissances et le niveau technique. M. Wein - prononcer «ween» - a assisté au spectacle de la Japonaise Hiromi, mercredi au Gesù, et il en est sorti abasourdi. «Les gens qui jouent du piano ont peine à croire ce qu'ils voient et entendent de cette jeune fille», a-t-il dit hier au cours d'un point de presse pendant lequel Alain Simard et André Ménard ont remis une toile de Tony Bennett au «père» des festivals de jazz.

Le mauvais côté? L'académisme, justement. «Les jeunes doivent oublier leurs professeurs et leurs livres s'ils veulent accéder à l'originalité.»

Le problème du jazz moderne n'en est pas réglé pour autant, vu l'absence de grands leaders. Beaucoup de musiciens de fort calibre, mais peu encore pour prendre le flambeau laissé par les pionniers disparus. «Le jazz doit faire grandir ses publics de chapelle.» C'est la critique savante qui ne sera pas contente...

George Wein a été le premier à faire sortir le jazz de ses boîtes. Il est resté à Newport jusqu'à ce que le succès de son festival attire un jeune public bruyant, qui croyait que «la musique doit être gratuite». Et qui renversait littéralement les clôtures. En 1972, George Wein a déménagé dans l'environnement le plus urbain qui soit: New York. «Où il ne se passait pas grand-chose en été.» Et il a présenté du jazz à Carnegie Hall et dans les parcs, à Radio City et sur le traversier de Long Island.

Alain Simard et Denise McCann sont allés le rencontrer pendant le festival de 1978 pour prendre conseil sur l'organisation d'un festival de jazz. «Je leur ai dit qu'ils allaient perdre leur chemise...» Deux ans plus tard, ces jeunes Montréalais chevelus fondaient néanmoins le Festival international de jazz de Montréal qui en est venu - en vendant beaucoup de billets, de bière... et de chemises - à dépasser les festivals du maître. «Notre festival est un mélange du festival de New York et de celui de La Nouvelle-Orléans», dira André Ménard à George Wein, très humble aux côtés de ses «héritiers» qui ont «consacré leur vie à leur festival».

Mais certains musiciens en auront toujours contre les «méchants producteurs»... George Wein connaît la chanson: «Pour faire ce que l'on fait, il faut aimer la musique et les musiciens. Or, il se trouve que certains musiciens ne nous aiment pas...»

En 1960, devant ce qu'il voyait comme le commercialisme grandissant du festival de Wein, le contrebassiste Charles Mingus et le batteur Max Roach avaient organisé une sorte de off-festival dans une hôtellerie non loin de Newport, dans le Rhode Island; un disque était sorti l'automne suivant: The Newport Rebels.

«Mingus, Miles Davis, Thelonious Monk étaient des personnages difficiles dont il fallait gagner le respect.» Et George Wein d'ajouter à la blague, citant son autobiographie Myself Among Others - A Life in Music, «et la meilleure manière de gagner leur respect, c'est de les payer...»

Et pour s'assurer que cela se fait, il faut des commanditaires. «Aujourd'hui j'ai lu qu'une grande banque canadienne (TD) allait commanditer votre festival, c'est merveilleux, des appuis comme ça. Hier, j'avais appris avec bonheur que CareFusion, une compagnie de services de santé, se joignait à nos festivals.» George Wein a été le premier à «vendre» le nom de ses festivals: ainsi, The JVC Jazz Festival at Newport, le Kool Jazz Festival, etc.

Là, on aura le George Wein's CareFusion Jazz Festival 55 les 7, 8 et 9 août à Newport. M. Wein a vendu sa compagnie (Festival Productions) en 2007 et l'acheteur a fait faillite, les procédures «gelant» la marque «Newport Jazz Festival» qu'il se dit par ailleurs certain de retrouver. Il y aura aussi des festivals CareFusion à Chicago, à Paris et, en 2010, à New York où, à cause du même imbroglio, il n'y aura pas de festival cette année.

On allait presque oublier: George Wein se produit aussi ce soir au Théâtre Jean-Duceppe avec ses Newport All Stars. C'est la deuxième visite du pianiste... «Je ne suis pas pianiste: je suis un joueur de piano». Au piano: George Wein.

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GEORGE WEIN AND THE NEWPORT ALL STARS, avec Lew Tabackin, Randy Sandke, Howard Alden, Peter Washington et Lewis Nash, à 20 h, au Théâtre Jean-Duceppe.