L'ancien journaliste de Radio-Canada Pierre Duchesne se serait placé en «conflit d'intérêts grave» selon le Parti libéral du Québec (PLQ), qui a déposé une plainte contre lui, hier, auprès du Conseil de presse et de l'ombudsman de Radio-Canada. Le principal intéressé réfute vivement ces accusations.

Dans sa lettre, le PLQ affirme que l'ex-journaliste a contrevenu aux règles déontologiques de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) ainsi qu'aux normes journalistiques de Radio-Canada en ayant négocié son passage au Parti québécois lorsqu'il était en fonction. «Ils ont déposé cette plainte quatre ou cinq minutes avant mon point de presse, l'analyse est facile à faire, observe Pierre Duchesne, joint au téléphone par La Presse. Depuis le début de la semaine, ils essaient de me casser psychologiquement et là, ils veulent briser ma réputation. Je n'ai aucun problème à défendre mon bilan de 25 ans de journalisme. Les libéraux veulent parler d'éthique, on va en parler.»

Pierre Duchesne rappelle que la direction de Radio-Canada lui a annoncé en février dernier qu'il serait rapatrié à Montréal en septembre prochain. «C'est à ce moment-là que j'ai amorcé une réflexion sur mon avenir professionnel, affirme-t-il. J'ai décidé de quitter Radio-Canada et je me suis négocié des tâches d'enseignement, un contrat de recherche à l'IREQ, et j'ai fait une demande de bourse auprès du Conseil des arts pour la rédaction d'une biographie. À aucun moment je n'ai discuté avec un parti politique. Mais la nouvelle est sortie sur les réseaux sociaux que j'étais ramené à Montréal contre ma volonté, et les rumeurs ont commencé à circuler. En 2007, des rumeurs semblables m'envoyaient à l'ADQ. Ça fait partie du jeu politique sur la colline.»

«Si j'avais pu décider de l'agenda, les choses se seraient déroulées plus lentement, ajoute le futur candidat dans la circonscription de Borduas. Mais la réalité, c'est qu'on ne contrôle pas l'agenda.»

Le Conseil de presse devrait annoncer au cours des prochains jours s'il juge la plainte du PLQ recevable. Le cas échéant, les libéraux devront fournir des faits pour appuyer leurs accusations. À ce sujet, le chef de la CAQ, François Legault, a écrit hier sur son compte Twitter qu'il avait eu un accrochage avec Pierre Duchesne il y a trois mois sur sa candidature au PQ.

Le cas de Pierre Duchesne rappelle celui de Bernard Drainville, qui s'est joint au Parti québécois en 2006, quelques jours après avoir réalisé une entrevue avec le chef du parti, André Boisclair. Il a lui aussi été l'objet d'une plainte au bureau de l'ombudsman de Radio-Canada qui a conclu que le journaliste aurait dû prévenir ses patrons qu'il était en réflexion, mais que pour le reste, il s'agissait d'une affaire de nature privée.

À la société d'État, la règle est claire: un employé qui souhaite faire de la politique peut demander un congé sans solde, ce qu'ont fait Bernard Drainville et Christine St-Pierre (qui l'a demandé avant de prendre sa décision), mais une fois élu, l'employé doit démissionner. Le cas contraire, s'il souhaite revenir au travail, il doit accepter une assignation différente. S'il refuse, on l'invite à partir.

Depuis l'annonce du passage de Pierre Duchesne en politique, l'ombudsman de Radio-Canada a déjà reçu cinq plaintes (dont celle du PLQ) à son endroit. Visiblement, le passage d'un milieu à l'autre provoque un malaise auprès de certaines personnes. Devrait-il y avoir une période de purgatoire, une zone tampon entre le départ de la profession journalistique et l'entrée dans la politique active?

«Le passage de l'un à l'autre est une étape très délicate compte tenu des principes d'indépendance et d'absence de conflits d'intérêts imposés aux journalistes, reconnaît Guy Amyot, secrétaire général du Conseil de presse. La transition idéale serait de partir, de réfléchir et après d'annoncer sa décision. Mais si le journaliste a respecté les principes déontologiques, pourquoi l'empêcherait-on de faire de la politique?»

Florian Sauvageau, professeur au Département d'information et de communication de l'Université Laval, est du même avis. «C'est la prérogative de tout citoyen de participer au débat public, alors pourquoi la restreindre pour les journalistes? demande-t-il. D'autant plus qu'il serait bien difficile de fixer un délai. Six mois, un an? Pourvu que les principes éthiques soient respectés, on ne peut pas empêcher un journaliste d'avoir des allégeances. Ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas se poser des questions.»

Jacques Rivet, professeur au même département, fait toutefois une distinction en ce qui concerne les journalistes de la télévision. «Ces derniers ont une notoriété et une visibilité qui les placent dans une catégorie à part. Nous sommes témoins de leur proximité avec les politiciens qu'ils couvrent. Lorsqu'ils changent de camp, on ne peut s'empêcher de se demander à qui on avait affaire. Peut-être devraient-ils devenir conseillers durant quelques mois pour se faire oublier du public? Pour les autres, le purgatoire a lieu dans l'exercice même de la fonction journalistique puisque la déontologie interdit toute action politique partisane. Faut-il vraiment le prolonger?»

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ILS ONT FAIT LE SAUT EN POLITIQUE

Raymond Archambault

Candidat pour le Parti québécois dans Groulx

Journaliste à Radio-Canada jusqu'en 2009

Élu président du Conseil exécutif national du PQ le 17 avril 2011

Gérard Deltell

Député de Chauveau pour la Coalition avenir Québec

Journaliste (SRC, TVA et TQS) jusqu'en 2008

Élu pour la première fois le 8 décembre 2008

Bernard Drainville

Député du Parti québécois dans Marie-Victorin

Journaliste à Radio-Canada jusqu'en 2007

Élu pour la première fois le 26 mars 2007

Christine St-Pierre

Députée du Parti libéral du Québec dans l'Acadie

Ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine

Journaliste à Radio-Canada jusqu'en 2007

Élue pour la première fois le 26 mars 2007