La jeune auteure québécoise Vickie Gendreau, foudroyée par un cancer en 2013, fait de nouveau entendre sa voix avec la parution à titre posthume d'un texte d'une grande énergie intitulé Shit Fuck Cunt. Un écrit dans lequel on retrouve toute l'agilité, la précision, la force et le panache de l'une des écrivaines les plus percutantes de sa génération. Portrait de la femme et de l'oeuvre.

« Vickie, c'est une personne intense. Quand elle est triste, elle est très triste et quand elle est heureuse, elle est très heureuse. Elle a une urgence de vivre. Depuis qu'elle est petite, je lui dis de parler moins vite ! », nous raconte Martine Chouinard, mère de Vickie Gendreau. Et tous les textes de l'auteure sont marqués au fer rouge par ce souffle, ce désir de dire et cette passion déchirante et débordante pour la vie.

Dès la parution de son premier ouvrage, Testament, en septembre 2012, un récit autobiographique bouleversant dans lequel la jeune femme apprend qu'elle a une tumeur « en nuage » dans son tronc cérébral, on est fouetté par le style et l'intensité de Vickie Gendreau. 

Au travers de la réalité quotidienne de sa maladie et dans la perspective d'une mort « fantasmée », elle dresse la liste de ce qu'elle laisse en héritage à sa famille et à ses amis. Sous forme de textes poétiques, sensuels et fragmentés, on découvre ses dernières volontés : « À Martine, ma mère, je lègue. Ce monologue récité par une petite fille de 5 ans, mon bikini à fleurs et une centaine de fennecs. » 

Avec une écriture sans filtre, aiguisée et d'une immense fragilité, Vickie Gendreau arrache tantôt les larmes, tantôt le sourire, et nous plante sa plume d'auteure en plein coeur.

Le metteur en scène et acteur Éric Jean, qui a adapté Testament au théâtre de Quat'Sous en mars 2014, a lui aussi été frappé par le « flow » de Vickie Gendreau.

« J'ai été premièrement interpellé par le titre coup de poing. Puis, à la lecture, j'ai eu un vertige immense pour l'humain, mais aussi pour la force de l'écriture. Il y avait là quelque chose de beau, de fulgurant, de puissant et de désespéré. Une volonté chez Vickie Gendreau de dire et d'être capable de le dire adéquatement », se souvient-il.

Prophéties

Or, même si Vickie Gendreau a écrit Testament dans l'urgence post-diagnostic, elle avait déjà construit le tiers du roman dans sa tête. « C'est sûr qu'elle a écrit vraiment beaucoup après avoir appris sa maladie, mais il y a des phrases prophétiques un peu partout dans ses archives », explique l'écrivain Mathieu Arsenault, meilleur ami et mentor de Vickie Gendreau. « Elle disait : "J'ai toujours pensé que j'allais mourir à 24 ans, j'imagine que j'ai une tumeur..." », ajoute-t-il. 

« C'est comme si elle avait déjà tout figuré dans sa tête. On en avait des frissons à y penser. »

- Martine Chouinard, mère de Vickie Gendreau

C'est que Vickie Gendreau, la femme et l'auteure, était une grande amoureuse de la mise en scène, de la poésie et du théâtre. Dans Drama Queens, publié en avril 2014, près d'un an après sa mort, elle « ponctue les chapitres d'espèces de petites installations artistiques, très baroques et très flamboyantes », explique Mathieu Arsenault. 

Peu de temps avant sa mort, le livre a d'ailleurs fait l'objet d'une lecture publique mémorable et bouleversante en sa présence. « Nous avons eu le sentiment de vivre les funérailles de Vickie avec Vickie », explique avec émotion Éric Jean, qui se trouvait dans la salle. « Elle nous a fait entrer dans l'intensité de sa propre existence pendant cette performance : la vie est courte et il faut tout prendre pendant que ça passe », ajoute Mathieu Arsenault.

Impressionniste

Dans l'oeuvre de Vickie Gendreau, il y a aussi beaucoup de références culturelles toujours bien envoyées et habilement tournées, à l'endroit ou à l'envers. Une écriture absurde, cynique, très imagée et en apparence sans queue ni tête, non sans rappeler celle de Réjean Ducharme, mais qui finit toujours par prendre tout son sens et sa splendeur. 

« Elle écrit comme peignent les impressionnistes, explique son meilleur ami. Ses petites phrases sont des touches et elle envoie ensuite de grands coups de palette dans toutes les directions. » 

« Quand tu restes proche, tu ne peux pas savoir de quoi elle parle, mais quand tu t'éloignes, le paragraphe, le texte et le portrait apparaissent. »

- Mathieu Arsenault

Dans Drama Queens, l'auteure fait aussi état de sa mort imminente avec une très grande intensité et y parle du déclin de son corps. Dans les dernières pages du livre, on assiste à ce que Mathieu Arsenault décrit comme « le rideau de la fiction qui tombe ». Vickie Gendreau avait dit qu'elle ne parlerait plus de sa maladie, mais elle a été obligée de le faire, car c'est ce qu'elle vivait. « Je n'aurais pas été capable de le mettre dans le livre. Elle, oui. Au dernier moment, elle a repris le manuscrit pour y faire apparaître cette portion », confie Mathieu Arsenault. 

Devenu le légataire littéraire des textes de Vickie Gendreau depuis sa mort, il est le gardien des archives de l'auteure. Pendant les quatre dernières années, il a dépouillé, identifié, classé, rassemblé et lu tous les fichiers de l'ordinateur de Vickie Gendreau. « Mon travail, c'est de la ramener du royaume des morts au royaume de la littérature et d'apporter ces textes à la publication dans leur logique propre. Je fais tout pour que ce soit ses textes à elle », explique-t-il.

Shit Fuck Cunt

Et c'est le cas pour la plus récente parution de Vickie Gendreau, Shit Fuck Cunt. Publié le 13 novembre dernier, ce texte se lit d'un trait et d'une façon saisissante. On y reconnaît la signature de l'auteure, toute sa fougue, son rythme effréné, sa détresse et son univers éclaté. Dans ce texte déroutant et haletant écrit en 2010, on découvre les déchirements amoureux et existentiels d'une jeune femme de 20 ans et une Vickie Gendreau qu'on sait alors en pleine santé. Quel bonheur que de retrouver ses mots et sa puissance. « Ce qui est merveilleux avec la parution de Shit Fuck Cunt, c'est que ça place un livre dans les mains de ses fans et que ce livre appartient à Vickie », dit Mathieu Arsenault en souriant.

« Cette nouvelle sortie est fantastique, car elle permet de perpétuer son rêve d'être une grande écrivaine », complète sa mère. Et si Vickie Gendreau en doutait, on peut aujourd'hui la rassurer et lui dire que son oeuvre littéraire est reconnue et pleinement vivante. « Je suis une fille qui "gives the shit" », comme elle disait !

Shit Fuck Cunt

Vickie Gendreau

Éditions Le Quartanier

32 pages