Plus besoin d'être au seuil de la retraite pour écrire une biographie. Cette année, Debbie Lynch-White, Annie Brocoli, Guylaine Tanguay, Robby Johnson, Olivier Primeau et Mahée Paiement ont décidé de se raconter dans un livre.

«C'est sûr qu'il y a un phénomène cette année. Beaucoup plus de maisons d'édition sortent des biographies de personnalités connues», dit Amélie Boivin-Handfield, coordonnatrice à la programmation du Salon du livre de Montréal.

Sauf que Christian Reeves, de la Société de gestion de la Banque de titres de langue française (BTLF), n'irait pas jusqu'à sonner l'alarme. Il affirme que dans l'écosystème du livre, la biographie ne représente que «3,5 % du marché, bon an, mal an».

Mais alors, pourquoi a-t-on l'impression qu'il n'y a pratiquement que ce genre de livres dans les nouveautés automnales ? Est-ce que les journalistes et animateurs seraient en partie responsables? Parce que c'est vrai qu'une personnalité qui lance sa biographie a bien des chances de faire le tour des émissions de radio, de télé et des quotidiens. Tandis qu'un auteur qui publie un roman...

Christian Reeves rit de bon coeur. «Alors, là, je vais m'abstenir de répondre», dit le directeur, ventes et développement, de BTLF.

Grâce entre autres au Bilan Gaspard 2017 du marché du livre au Québec, que son organisme a publié, force est de constater que la biographie n'est pas près d'être la catégorie la plus populaire dans les ventes. Elle n'est par contre pas non plus négligeable.

Jean-François Baril l'exprime bien lorsque nous lui demandons s'il est surpris que son livre Influences, sorti en septembre dernier, soit déjà best-seller.

«On pensait bien qu'on allait l'atteindre, puisque les livres de personnalités, ça se vend bien. Sauf que de le faire en moins d'un mois, ça, les éditeurs sont vraiment contents!» 

Il est bien conscient que ça peut irriter des écrivains de métier de voir des personnes connues s'improviser auteures.

«Au Salon du livre de Saguenay, une auteure a acheté mon livre et m'a dit: "Je vais te le dire, au début du Salon, je te jugeais, parce que je me disais que tu étais une autre personnalité qui venait nous enlever des ventes, à nous autres, les vrais auteurs. Mais je t'ai ensuite écouté parler et ça m'a donné envie de te lire"», explique l'animateur et humoriste, en ajoutant que c'est un des plus beaux compliments qu'il a reçus.

Ceci n'est pas une biographie

Dans son livre, Jean-François Baril parle de l'influence que les autres personnes peuvent avoir sur le déroulement de nos vies. Et même s'il raconte des événements marquants de son existence, il ne considère pas du tout qu'il a publié sa biographie. Il n'est pas non plus d'accord avec Renaud-Bray qui a classé son livre dans la catégorie «croissance personnelle».

«Quelqu'un de mon âge [42 ans] qui fait une biographie, je trouve ça prétentieux. Elle est loin d'être finie, ma vie! Mais quand tu as envie de parler d'un angle ou d'un point de vue qui t'intéresse, le livre est une belle plateforme», dit Jean-François Baril.

Il n'est pas le seul à ne pas apprécier l'étiquette «biographie». Dans L'iceberg, ou comment je suis devenu Hugo Girard, la première phrase de l'ouvrage est: «Ce livre n'est pas une autobiographie, mais soyons clair: L'iceberg, c'est moi.»

Hugo Girard, par la plume de Sonia Sarfati, explique dans l'introduction de ce livre sorti le 17 octobre dernier: «Mon but avec ce livre n'est pas de vous apprendre à devenir l'homme le plus fort du monde, parce que... tout le monde ne veut pas devenir l'homme le plus fort du monde.»

«En fait, je vise plus large que ça. Mon but est d'influencer les gens en les aidant à optimiser leurs capacités physiques et mentales, parce que selon moi, la réussite dépend de soi et de sa propre volonté d'agir.» 

Ce désir de raconter un pan de sa vie, une particularité de son existence ou un événement précis est fréquent chez les vedettes, dont le livre est ensuite classé dans la catégorie «biographie». Récemment est notamment paru En mal des mots, d'Annie Brocoli, qui parle de sa dyslexie.

«Ça traite de "ma" différence. Ce n'est pas une biographie, c'est vraiment l'histoire de ma différence. On parle de toutes les affaires qui me sont arrivées par rapport à ça. Comment j'étais à l'école, comment j'ai capoté quand je suis sortie de l'école avec une estime de moi à moins mille et comment je l'ai reconstruite. J'espère que les gens vont pouvoir remplacer le mot "dyslexique" par leur différence à eux», dit Annie Brocoli, qui veut aussi offrir des conférences sur le sujet.

Trouver un équilibre

Le directeur général du Salon du livre de Montréal, Olivier Gougeon, est persuadé qu'«il y aura une file de jeunes lecteurs et lectrices» aux séances de dédicaces d'Annie Brocoli. Il comprend par ailleurs que les personnalités, qui seront nombreuses au prochain Salon, qui se tient du 14 au 19 novembre, déplairont peut-être aux autres auteurs, qui n'auront pas la même attention du public.

«Quand il y a une personnalité super connue qui fait une bio ou un récit et que ça attire des foules et des foules et des foules, l'auteur un peu plus marginal ou l'auteur axé un peu plus sur la littérature propre et qui a travaillé pendant trois ans sur son roman et qui en vend une cinquantaine, à côté de l'autre qui en vend un millier, ça peut être un décalage fort. Mais ça fait partie de la réalité», dit Olivier Gougeon.

Il souhaite tout de même trouver des moyens d'attirer les visiteurs vers les auteurs moins connus: «C'est un peu ça, notre rôle... et peut-être qu'on doit travailler encore plus à favoriser cette rencontre-là.»

Du côté de la maison d'édition Libre Expression, dont la marque de commerce est entre autres les biographies, Johanne Guay dit aussi qu'elle veut apporter des changements dans un avenir rapproché. 

«Depuis 20 ans, je trouve que les lecteurs veulent des gens qui donnent des conseils, des histoires vécues, et effectivement, il y en a beaucoup. C'est vrai que cette année, on dirait qu'il y a juste ça! Je comprends ça», dit la vice-présidente à l'édition du Groupe Librex.

«Un de mes objectifs pour l'an prochain est de ramener les gens à rêver. C'est ça, le roman. Je ne suis pas contre les bios, au contraire, mais je trouve ça malheureux de voir que les gens ont moins le goût de rêver. On veut un peu changer l'image de Libre Expression.» 

Ce nombre élevé de nouvelles biographies ou de nouveaux récits de vie à la rentrée automnale est-il une exception? Est-ce que Johanne Guay a raison de croire que le retour du balancier est imminent? Le temps nous le dira.

Mais déjà, des personnalités comme l'artiste peintre Elisabetta Fantone (Loft StoryXOXO) ne ferment pas la porte à la suite d'une biographie. Celle qui a sorti Journal d'une lofteuse en 2008, alors qu'elle n'avait que 25 ans, explique: « Je ne regrette pas [la sortie de ce livre], puisque c'était plutôt un journal intime. Un compte rendu quotidien de mon expérience à une téléréalité avec un peu d'histoire de mon enfance en Italie», dit la femme de 35 ans, qui vit maintenant aux États-Unis.

Elle poursuit: «Depuis, j'ai accompli énormément de projets, je réussis dans plusieurs carrières, j'ai déménagé dans un autre pays, je suis mariée et maman. On me demande souvent comment je réussis à tout gérer... Je serais due pour un deuxième livre.»

Ce sera peut-être ça, l'une des prochaines tendances. Au lieu d'offrir une biographie exhaustive à l'âge de la retraite, les personnalités écriront quelques livres, au fil des événements de leur vie, pour communiquer directement avec leurs fans.

«Je me suis aperçu que les gens s'ennuyaient de ma présence à la télévision et à la radio et qu'ils ont trouvé refuge dans ce livre-là», a dit Jean-François Baril, dont un deuxième tome d'Influences est déjà en chantier.

Webinaire

Y a-t-il trop de biographies de vedettes au Québec?

Autour de notre chroniqueur Mario Girard, l'éditeur Pierre Cayouette débattra de la question avec les journalistes Véronique Lauzon et Chantal Guy. Cette rencontre numérique gratuite aura lieu le jeudi 8 novembre, à midi. Inscrivez-vous ici dès maintenant.