Nos critiques de bandes dessinées d’ici et d’ailleurs

Un constat désespérant, une lecture essentielle

Dans l’expression « développement durable », il y a le mot « développement », rappelle l’auteur d’Un sacrifice naturel. Le sous-titre de sa bande dessinée, Les ratés de la protection de la biodiversité au Québec, ne laisse aucun doute sur ce qu’il en pense. Son ouvrage de 172 pages coédité par Atelier 10 et La Pastèque raconte de manière dynamique et fluide un combat crucial, celui de la protection de ce qu’il reste d’espaces naturels dans la grande région de Montréal, et la menace constante qui pèse sur nos boisés et milieux humides. De Saint-Jérôme à Sainte-Julie en passant par l’île Perrot, un scénario semblable se répète : des promoteurs reçoivent des autorisations pour détruire des milieux fragiles, en raison de la faiblesse des lois et des processus en place. Martin PM raconte en fait une seule et même histoire, celle d’un ministère de l’Environnement qui dispose d’un pouvoir très limité… qu’il utilise rarement. Un constat avec lequel ceux qui creusent actuellement le dossier Northvolt ne seront sûrement pas en désaccord.

Un sacrifice tout naturel

Un sacrifice tout naturel

Atelier 10 + La Pastèque

176 pages

8,5/10

Coup de foudre à New York

New York New York s’avère une nouvelle collaboration heureuse pour Jillian et Mariko Tamaki, les autrices de Skim et Cet été-là. Dans un style plein de rondeurs, où on sent l’influence du manga, Jillian Tamaki crée un fantastique New York fantasmé, des pages oniriques et des personnages empreints d’une sensualité discrète. Ce séjour dans la Grosse Pomme est en effet l’occasion d’un coup de foudre entre Fiona et Zoé, réunies par hasard par une amie commune, Dani. Le trio parcourt la ville, de resto à pizza en musée, s’enivre un peu et finit par se scinder imperceptiblement. L’idylle entre ses copines laisse en effet Dani un brin amère. Mariko Tamaki navigue habilement dans les émotions ici, suggérant plus qu’elle ne dit les choses, racontant avec douceur les intempéries qui secouent les amitiés comme les amours naissantes.

New York New York

New York New York

Rue de Sèvres

448 pages

7/10

Le sens de la chute

Quel sens de la chute il a, Jean Van Hamme ! Miséricorde regroupe sept nouvelles écrites par le prolifique créateur de Thorgal, XIII et Largo Winch, mises en images par sept dessinateurs, dont Aimée de Jongh, Christian Durieux, José Luis Munuera et Emmanuel Bazin. Le plaisir de ces histoires reposant principalement sur leur dénouement, on ne peut pratiquement rien en dire, sinon qu’elles témoignent d’une malicieuse inventivité et d’une inspiration vaste. Ses drames se déroulent en effet dans une maison paisible comme au fin fond d’une Afrique imaginaire, dans un passé aux fantasmes futuristes ou même dans la bonne société anglaise d’antan. L’auteur ne lève pas le nez sur les clichés, mais sait surtout prendre son lecteur en otage. Ses dessinateurs n’ont qu’à suivre le guide et, si on ne se pâme pas devant le style de chacun, il y a amplement de quoi se sustenter sur le plan visuel. Voilà une belle surprise.

Miséricorde

Miséricorde

Dupuis

94 pages

8/10

Un récit qui hante l’esprit

Inspiré de faits réels, La malédiction des Bernier revient sur un naufrage survenu en 1952 et qui a décimé une famille de marins et navigateurs. Le récit s’amorce à l’époque contemporaine, en 2006, lorsque l’épave du navire disparu est enfin découverte au large de Baie-des-Sables. La suite raconte la petite histoire de la famille Bernier, propriétaire du bateau, et surtout son mode de vie axé sur la navigation de génération en génération. La longue route vers le deuil, aussi, pour les familles éprouvées. Cette BD-document est dessinée à l’encre noire et trempée dans le bleu des souvenirs douloureux. La mise en scène de Dante Ginevra (dessinateur argentin) joue habilement de la temporalité et trouve sa force dans sa sobriété. Même si l’ensemble a quelque chose d’un peu statique et que les dialogues ne sont pas toujours convaincants, ce récit de corruption, de fatalité, de mort hante l’esprit. La preuve qu’il est bien ficelé. À paraître le 20 mars.

La malédiction des Bernier

La malédiction des Bernier

Glénat

119 pages

7/10

Histoires d’un autre temps

Monica rassemble neuf histoires qui composent le récit biographique déjanté, désespérant et parfois terrifiant du personnage-titre. Fille d’une femme égarée, elle a été élevée par ses grands-parents. Elle a vécu leur mort comme un abandon et passé l’essentiel de sa vie à enquêter sur ses origines, cherchant la trace de sa mère incompétente et pourtant bien-aimée, Penny. Daniel Clowes (Ghost World, Patience) a remporté le Fauve d’or au dernier festival de la bande dessinée d’Angoulême avec ce récit composite, qui rappelle les récits d’horreur du genre Tales From the Crypt ou empreints d’une étrangeté inquiétante comme Black Hole de Charles Burns. D’où ce sentiment d’être devant une œuvre d’une autre époque, creusant les caniveaux d’un certain imaginaire américain où se mêlent guerre du Viêtnam, révolution hippie, sectes et sociétés secrètes. Troublant, mais sans grande inventivité.

Monica

Monica

Delcourt

106 pages

6/10

Cliché au centuple

Il faut avouer que la pérennité de Largo Winch fait partie des choses étonnantes dans le monde de la bande dessinée. Son style, ses couleurs en aplats, ses scénarios alambiqués, son sexisme affiché, tout ça détonne en 2024. Le centile d’or reprend où La frontière de la nuit avait laissé : Winch et Jarod Manskind, son rival dans la conquête de l’espace, sont prisonniers d’une navette suborbitale en chute libre vers la Terre. La faute à un groupe écoterroriste appelé We Blue, qui veut faire la peau à une race nuisible au reste de l’humanité, c’est-à-dire les milliardaires. Mélange de James Bond et de Tony Stark, Largo Winch s’en sort toujours indemne, et ce sera encore le cas dans cette aventure qui fait penser à la compétition bien réelle à laquelle se livrent Jeff Bezos et Elon Musk de nos jours. Les tentatives de meurtre en moins. Les revirements sont aussi peu crédibles qu’impressionnants, comme d’habitude, et Largo Winch reste d’un machisme affligeant…

Largo Winch – Le centile d’or

Largo Winch – Le centile d’or

Dupuis

48 pages

5/10