« Avec mon père, on ne sait jamais quand le show d’humour se termine et quand la tragédie grecque s’amorce », écrit Akim Gagnon dans Granby au passé simple, une chronique de son enfance pas simple dans une maison mobile aussi pleine de trous que les bonnes intentions de son fascinant paternel.

Vous lui offririez le plus douillet des lits à baldaquin que le père d’Akim Gagnon préférerait quand même dormir sur le divan. C’est qu’au moment où son propre père meurt, le jeune homme alors âgé de 17 ans est accueilli par son grand-père dans son petit appartement. Le divan y deviendra son refuge.

« Pop ne semble pas faire le lien entre le divan sur lequel il s’est blotti le jour où il est devenu orphelin et tous les suivants sur lesquels il s’est jeté tête première », écrit son fils dans Granby au passé simple, antépisode de son premier roman, Le cigare au bord des lèvres. « Pour moi, tout ça, c’est très clair. Ça me rappelle, à nouveau, qu’avec Pop, les réponses se trouvent dans le sous-texte. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Akim Gagnon

Père aimant, ayant constamment les mots « Je t’aime » à la bouche, papa Gagnon ne correspond en rien à l’archétype de cet homme monosyllabique qui emplit de son silence proverbialement assourdissant la fiction québécoise. Mais il ne suffit pas de dire « Je t’aime » pour ne transmettre que de l’amour.

Un jour que le plancher de sa maison mobile se soulève à cause d’un tuyau fendu, bloquant ainsi une porte, il décide, plutôt que de remédier à la situation, de tout simplement chimer la porte en question. Contourner ses problèmes, et ses émotions, pour mieux les déverser sur sa progéniture ? Le monsieur s’y connaissait.

« La maison était à l’image de la tête de mon père, aux prises avec une dépression grandissante », écrit Akim Gagnon qui, en entrevue dans un salon de billard, où il jouait cet après-midi là avec son frère Karl, se remémorait ces nombreuses « histoires drôles qui, avec le recul, sont devenues tristes ».

Akim caresse le tissu usé du divan sur lequel nous sommes assis. « Je ne peux pas voir un divan sans penser à mon père. Je vois mon père sur tous les divans du monde. » Il ajoute avec ce mélange de douce arrogance et de vertigineuse lucidité qui imprègne sa jeune œuvre : « Mais j’excuse mon père, parce que ç’a donné un christie de bon livre, et parce qu’il n’était pas conscient du poids qui venait avec son amour. »

Apprendre à s’aimer

Attendre que papa passe l’arme à gauche avant de lui consacrer un roman, comme ont préféré faire tant d’écrivains avant lui ? « Moi, je voulais qu’il me lise, tranche Akim. Surtout que mon but, ce n’était pas d’être dur avec mon père, mais d’être franc. »

J’ai beaucoup pleuré en l’écrivant, parce que j’étais ému du chemin que mon père a parcouru. Je me rappelle dans le livre d’un père qui n’est pas celui que je côtoie aujourd’hui. Il a évolué, le bonhomme. Il a appris à s’aimer.

Akim Gagnon

Le fils aussi a appris à s’aimer, beaucoup grâce à l’écriture. Rares sont les livres qu’on lit avec autant de joie, même dans leurs moments les plus noirs, que Granby au passé simple, non seulement parce qu’Akim Gagnon possède un sens inouï de l’image à la fois inusitée et chaleureusement familière, mais aussi, et surtout, parce qu’un plaisir cousin de la jubilation fait pulser chacun de ses chapitres.

Le passé simple qu’il emploie presque tout du long – une idée qui lui est apparue en lisant une traduction de Bukowski – contribue beaucoup à cette tension comique entre la noblesse d’un temps de verbe qui se prend pour un autre et l’anxiogène prosaïsme d’un milieu où seuls des cours de théâtre lui permettaient de croire qu’une autre vie existait, ailleurs.

« Quand l’écriture est entrée dans ma vie », se souvient celui qui a vécu la révélation de la littérature plutôt tardivement, dans la mi-vingtaine, « c’était la première fois que je prenais soin de moi, que je ne m’engourdissais pas, que je m’écoutais pour savoir ce que je pense pour vrai. »

J’ai découvert que ce que j’aimais le plus faire, c’est ce que j’avais toujours craint le plus.

Akim Gagnon

Le véritable Akim

Avec l’écriture, Akim Gagnon rencontrait donc enfin sa véritable identité, alors qu’a contrario, son père est l’exemple même d’une masculinité ayant eu du mal à se définir autrement qu’à travers l’identité que lui conférait sa place dans la société. Granby au passé simple trace en filigrane le portrait d’une époque qui n’a pas tenu ses engagements auprès d’une classe ouvrière à qui l’on avait promis confort et quiétude.

Au moment où son usine met à pied des centaines d’employés, le père d’Akim perd aussi une des rares assises de son estime personnelle. « L’usine, le jambon à Noël, les vacances – ça lui convenait parfaitement, observe l’auteur. Mon père croyait à ce système-là et du jour au lendemain, on lui a dit que ce en quoi il croyait ne fonctionnerait plus, qu’il fallait qu’il retourne à l’école. »

La dernière phrase de Granby au passé simple ? « Je suis le gars de Richard Gagnon. »

« Si ça devait être ça, la dernière phrase que j’écris, confie Akim avec un sourire plein de tendresse, ça résumerait tout. »

Qui est Akim Gagnon ?

  • Akim Gagnon s’est d’abord fait connaître comme réalisateur de clips pour Philippe Brach, Klô Pelgag et VioleTT Pi, le projet de son frère Karl (rebaptisé Carl-Camille dans ses livres). Il est aujourd’hui monteur pour différentes émissions de télévision.
  • Est né à Granby en septembre 1989.
  • A publié en février 2022 Le cigare au bord des lèvres (La Mèche), un premier roman, généreux en excès, dans lequel il était beaucoup question de ses intestins.
Granby au passé simple

Granby au passé simple

La Mèche

416 pages