Quelques suggestions de bandes dessinées à découvrir.
L’enfance au bout du fil
Le dessinateur Grégory Panaccione, qui nous avait donné en 2014 le sublime album muet Un océan d’amour (avec Lupano au scénario) arrive cette fois avec sa toute première adaptation graphique solo, celle du roman à succès Quelqu’un à qui parler, de Cyril Massarotto.
On y fait la rencontre de Samuel, trentenaire célibataire totalement paumé, qui, un soir d’anniversaire en solitaire, décide de composer le numéro de téléphone de son ex (huit ans qu’ils sont séparés et il l’appelle chaque année !) puis, par curiosité, celui de sa maison d’enfance. Surprise ! Il y a quelqu’un au bout du fil, un gamin âgé de 10 ans qui s’appelle Samuel… Pour l’adulte, c’est l’occasion de faire un douloureux examen de conscience sur la vie qu’il a choisie. Et de jeter un regard lucide sur ce qu’il est advenu de ses rêves d’enfant.
Malgré quelques rebondissements qu’on voit venir de loin, ce roman graphique lumineux s’avère une lecture des plus réconfortantes. Un véritable baume pour l’âme en cette période pas très jojo ! Passé maître dans l’art de parsemer ses œuvres de cases muettes qui donnent un souffle nouveau au récit, le bédéiste a aussi su ajouter une belle dose d’humour avec des dessins en aparté qui nous font voir les pensées (parfois sadiques !) de son héros. Un album qu’on referme le sourire aux lèvres.
Quelqu’un à qui parler
Le Lombard
256 pages
La résistance au féminin
Madeleine Riffaud est née en 1924 dans la Somme, une région du nord de la France fortement éprouvée par la Grande Guerre. Alors que la Seconde Guerre se profile à l’horizon, elle a déjà choisi son camp : elle se joindra à la Résistance, peu importe le prix. Madeleine Riffaud n’est pas qu’une héroïne de papier ; elle a bel et bien existé et reste l’un des derniers témoins toujours vivants ayant connu la Résistance française de l’intérieur. Qui plus est, cette femme au caractère d’acier a participé aux luttes anticolonialistes en Algérie et au Viêtnam, en plus de mener une carrière de reporter (mais aussi de poétesse et depuis peu, de coautrice de bande dessinée !).
La vie extraordinaire, parsemée d’exploits et d’embûches, de cette éternelle résistante serait passée sous silence sans le travail du bédéiste Jean David Morvan, qui a recueilli les propos d’une femme à la mémoire toujours très affutée malgré son âge avancé. Le résultat est bouleversant : un témoignage à la première personne d’une femme éprise de liberté.
Le récit de ses premiers pas dans la Résistance, en 1942, est prenant. Et le dessin bleuté très maîtrisé de Dominique Bertail ajoute une aura de mystère au récit, mais donne aussi une certaine froideur au décor, ce qui sied bien au propos. Une série documentaire fort prometteuse, prévue en trois tomes.
Madeleine résistante, t.1 : La rose dégoupillée
Aire Libre
128 pages
L’âme du Bauhaus
L’histoire du Bauhaus, courant artistique axé notamment sur l’architecture et le design, est racontée ici par la voix du musée qui lui est consacré. C’est elle, la narratrice du récit qui débute en 1919, à la fondation de la Staatliches Bauhaus, l’école d’arts appliqués mise sur pied par Walter Gropius, qui aura marqué le XXe siècle pendant sa courte existence. Elle raconte la vie dans cette institution résolument tournée vers la modernité, qui avait notamment l’ambition de repenser la configuration des maisons comme la production d’objets usuels esthétiques qu’il serait possible de fabriquer en série.
On découvre à travers ces pages à la composition parfois étonnante et aux lignes nettes les principes qui ont guidé le mouvement Bauhaus, mais aussi les débats qui l’ont animé et les apports de créateurs qui allaient marquer durablement le siècle dernier, dont Vassily Kandinsky, Paul Klee et Ludwig Mies Van der Rohe. Ce n’est pas aussi technique que ça en a l’air : le récit, surtout chronologique, s’attarde aux grands moments de l’institution, jusqu’à sa fermeture à l’arrivée au pouvoir des nazis, et cherche surtout à évoquer le désir irrépressible d’innovation artistique et d’ouverture d’esprit. Seul bémol, à force de vouloir nommer tout le monde et de faire une place à tous les arts, la BD de Valentina Grande et Sergio Varbella ne va pas toujours assez en profondeur dans son exposition de la philosophie Bauhaus, ses applications concrètes et son influence. On aurait pris plus que cette introduction.
Bauhaus – L’idée qui a changé le monde
Éditions du Seuil
128 pages
Bagieu par elle-même
Pénélope Bagieu, autrice de Les culottées entre autres et lauréate d’un Eisner Award, se raconte dans Les strates, sa première bande dessinée autobiographique. En fait, il ne s’agit pas exactement d’une autobiographie en ce sens qu’elle s’attarde plutôt à des moments de son enfance et de son adolescence, évoquant tour à tour son amour des chats (et le deuil de son premier animal de compagnie), ses amitiés et ses amours. Bref, elle fait le portrait composite de ce qui a formé la femme et la créatrice qu’elle est devenue. C’est souvent anecdotique, parfois touchant, souvent comique et toujours bien servi par un crayonné noir et blanc assez simple. C’est vif, divertissant, et l’autrice se montre extrêmement habile à se raconter sans juste se regarder le nombril et à aborder des sujets très délicats.
Les strates
Gallimard
144 pages
Autres sorties
Sous les galets la plage
Rabaté, prolifique auteur à qui on doit notamment l’immense Ibiscus, raconte comment, en 1962, un garçon de bonne famille finit par s’éloigner de la trajectoire qui se dessinait devant lui. Par amour, d’abord, mais peut-être aussi par conviction, étant donné que le récit s’ouvre sur une citation de Proudhon (« La propriété, c’est le vol »). Ce n’est pas un grand récit de Rabaté, mais visuellement, c’est réussi.
La cellule — Enquête sur les attentats du 13 novembre 2015
La cellule — Enquête sur les attentats du 13 novembre 2015
Reconstitution des attentats du 13 novembre 2015 à Paris où 130 personnes ont été tuées par des djihadistes au Bataclan, au Stade de France et dans des cafés parisiens. Une enquête documentaire fouillée de Soreen Seelow et Kevin Jackson illustrée par Nicolas Otero, dans la veine de la bande dessinée documentaire.
L’année des ordures
L’année des ordures
Le génial bédéiste américain Derf Backderf a ressorti de ses archives ce court album publié il y a 20 ans, où il raconte l’été d’enfer qu’il a passé à travailler comme éboueur dans une petite ville de l’Ohio. Un texte précurseur de son roman graphique Trashed, où les anecdotes peu ragoûtantes s’enfilent à vitesse grand V. Cœurs sensibles, s’abstenir !