Il y a une vingtaine d'années, et ça vaut sûrement aujourd'hui, une visite au Festival Jazz and Heritage de La Nouvelle-Orléans n'était pas complète sans un arrêt au Preservation Hall, dans le Vieux Carré. Chaque soir, une centaine de spectateurs s'entassaient dans ce minuscule sanctuaire non climatisé et s'étiraient le cou pour apercevoir des vieux messieurs jouer le plus sérieusement du monde la musique la plus réjouissante qui soit.

Ces touristes musicaux repartaient le sourire aux lèvres et le coeur léger, convaincus d'avoir fait un authentique voyage dans le temps. Les musiciens qu'ils venaient d'acclamer donnaient l'impression d'être nés au début du XXe siècle, mais dès l'instant où ils se lançaient dans un solo, ils rajeunissaient d'une vingtaine d'années.

Le Preservation Hall Jazz Band qu'on a vu au théâtre Jean-Duceppe vendredi a rajeuni: son directeur artistique Ben Jaffe, l'homme à la longue crinière bouclée qui joue du sousaphone et de la contrebasse, a 40 ans tout au plus. Mais il est le fils du couple qui a fondé le vétuste Preservation Hall en 1961 et provoqué du coup la naissance de cet ensemble qui parcourt la planète depuis 50 ans pour répandre la bonne nouvelle.

Jaffe est également le coréalisateur, avec Jim James du groupe du Kentucky My Morning Jacket, et l'auteur de plusieurs des chansons du nouvel album de l'orchestre qui sortira mardi, That's It. Un disque qui rompt également avec la tradition puisque pour la première fois en un demi-siècle, le PHJB n'y joue que des chansons originales.

Si le disque risque de froisser les plus purs défenseurs de la tradition, le spectacle de vendredi a rallié sans peine le public de Jean-Duceppe. Du dixieland, il y en a eu, avec chaque musicien qui se lève au milieu de son solo pour accentuer la montée d'intensité et les six cuivres qui s'alignent tous devant pour une finale irrésistible. Du dixieland, mais aussi du blues, du rhythm'n'blues et du jazz, autant de musiques qui ont des racines à La Nouvelle-Orléans.

Ces musiciens ne sont pas de grands chanteurs, mais leur énergie et leur bonne humeur contagieuse compensent largement pour les carences de leurs cordes vocales. Il fallait voir Ronell Johnson, un monsieur bien chair, danser avec son énorme sousaphone puis venir fausser en chantant Halfway Right, Halfway Wrong avec la bénédiction des spectateurs. Ou encore le tromboniste Frederick Lonzo dire plus que chanter l'amusante Rattlin' Bones, une chanson d'épouvante campée dans un cimetière.

Bref, on ne s'est pas ennuyé avec le Preservation Hall Jazz Band de 2013 et quand ils ont joué l'enlevante That's It juste avant le rappel, le public s'est levé d'un trait, comme s'il venait lui aussi de faire un énergisant voyage dans le temps.