L'an dernier, le pianiste afro-américain Robert Glasper avait été contraint d'annuler le concert qu'il devait donner au Festival international de jazz de Montréal. Alors en tournée avec la superstar Maxwell, il lui était devenu impossible de faire cette escale jazzistique tant attendue par son public d'ici.

Pour se faire pardonner de cette défection, le musicien a accepté de se produire trois soirs consécutifs au Gesù, dans le cadre de la série Invitation dont il est le troisième invité. «Avec Maxwell, vous savez, je viens de repartir en tournée... Mais je viendrai à Montréal, n'ayez crainte!» rigole-t-il, lorsque joint dans la région de New York où il réside.

 

On rappellera que ce pianiste pour le moins prodigieux est originaire de Houston et qu'il a étudié dans cette fameuse école secondaire d'où proviennent des jazzmen de très haut niveau - Jason Moran, Eric Harland, Chris Dave, Walter Smith, Kendrick Scott... Mais aussi Beyoncé!

«Si elle était mignonne à 13 ans? Absolument! J'ai gardé des photos», pouffe ce musicien que l'on associe à un important renouveau dans la branche afro-américaine du jazz. Son approche au clavier, en fait, reste connectée à la tradition des meilleurs pianistes noirs (Herbie Hancock, Ahmad Jamal, Mulgrew Miller, etc.) mais présente aussi des caractéristiques absolument inédites - mirobolantes figures rythmiques, motifs hautement virtuoses.

Dans un cadre acoustique, son intégration du hip-hop lui a aussi valu moult éloges au cours des dernières années. Chose certaine, Robert Glasper a la tête en 2010, ses mains en témoignent!

L'espace-temps du jazz

«En général, fait-il observer, le jazz a tendance à s'incruster dans un espace-temps qui n'a que peu à voir avec le présent. Si vous interrogez l'amateur moyen de jazz au sujet de ses goûts, il vous parlera de Charlie Parker, John Coltrane, Miles Davis ou Dave Brubeck. Or, si vous interrogez un fan de R&B, il ne vous citera pas d'abord Marvin Gaye mais plutôt Usher. Il y a peut-être un problème...

«C'est pourquoi chacun de mes nouveaux projets réunit de plus en plus mes deux champs d'intérêt (jazz et hip-hop/R&B), de manière à ce que mon univers entier puisse s'exprimer d'une manière organique et authentique. Ainsi, mes premiers albums (Canvas et In My Element) étaient conçus pour trio acoustique, alors que le dernier (Double Booked) incluait ces deux aspects de ma vie musicale. Mon prochain, lui, sera plus expérimental. La transition sera complétée.»

Vu son talent immense et son intérêt avoué pour la mouvance»urban», Robert Glasper est très sollicité par les grandes ligues du show-business afro-américain. Maxwell, MosDef et Bilal l'ont tour à tour embauché, on l'a vu sur scène avec QuestLove (The Roots), tout comme avec le fameux rapper Q-Tip (A Tribe Called Quest). On en passe...

Y a-t-il à craindre que son jazz finisse par en souffrir?

«Non, répond-il avec conviction. Vraiment pas. Le jazz est mon premier amour. Sans vouloir les nommer, je sais que des musiciens finissent par basculer dans un jazz plus ringard. Or, d'autres ne tombent pas dans ce piège. Voyez ce qu'a fait Herbie Hancock sa vie durant! N'est-il pas d'abord un grand musicien de jazz?»

Trois concerts

Trêve de spéculation, Robert Glasper compte présenter trois concerts incarnés au Gesù, à compter de demain.

«Pour le trio, je jouerai avec Vicente Archer à la contrebasse et Kendrick Scott à la batterie. Je compte puiser dans la matière de mes trois albums.» Avec le trompettiste Terence Blanchard? «Franchement, il faudra voir. Mais je prévois une conversation au sommet, en toute spontanéité. Nos compositions originales ou des standards pourraient faire partie du programme...

«Avec Bilal, le troisième soir, nous irons des deux côtés; il y aura des éléments électroniques et électriques mais aussi des éléments acoustiques. On fera des choses déjà enregistrées avec lui, et d'autres que nous avons jouées sur scène avec mon groupe. Il n'y a pas à s'inquiéter, Bilal est extrêmement créatif. Vous savez, son style préféré est le jazz; il a chanté dans des big bands alors qu'il étudiait à Philadelphie. Ce même soir, d'ailleurs, le saxophoniste Casey Benjamin s'ajoutera à mon trio. Et nous essaierons même d'y présenter du matériel inédit. Chose certaine, il y aura du groove!»

Est-il besoin d'ajouter que les deux mondes musicaux de Robert Glasper ne feront qu'un?

Dans le cadre de la série Invitation, Robert Glasper se produit demain, vendredi et samedi, 18h, au Gesù.