Ces mélopées de trompettes filtrées, ces fréquences riches et duveteuses, proviennent de l'Américain Jon Hassell. À l'instar d'Éric Truffaz, d'Ibrahim Maalouf et autres nouveaux venus dans le monde de la musique improvisée, Paolo Fresu et Nils Petter Molvaer sont des descendants directs de ce trompettiste. L'un des premiers à avoir popularisé ces filtres électroniques hautement méditatifs, riches et planants, connectés aux grandes traditions musicales de l'Asie méridionale.

Avec Jon Hassell, la trompette était devenue texturale plutôt qu'un instrument propice à la virtuosité. Il a ainsi marqué plusieurs trompettistes des générations suivantes, et quelques-uns d'entre eux ont poussé plus loin ces propositions. À l'écoute de Paolo Fresu et Nils Petter, ce dimanche au Gesù, on ne peut s'empêcher de penser au pionnier et d'avoir envie d'écouter la suite des choses. Car il y a une suite des choses.

Particulièrement chez Molvaer, la panoplie des effets spéciaux émanant de la trompette est devenue considérable. Paolo Fresu, lui, ne peut compter sur une palette aussi élaborée, bien qu'il se démarque autrement, c'est-à-dire dans un monde jazzistique plus virtuose, plus proche de la tradition et de ses extrapolations transculturelles. Chose certaine, la banque de sons dont disposent les deux souffleurs réunis nous a permis de voir le présent et l'avenir de la trompette.

Et lorsque le superbatteur Manu Katché est entré en scène, de nouveaux sons se sont adaptés au contexte. Éléments de musique arabo-orientale, rythmes relativement simples mais bien sentis, belle écoute mutuelle dans un cadre totalement improvisé.

Vers 18h52, les instruments mélodiques ont évoqué la mélodie de Scarborough Fair, une bruine de percussions humectant le tout. Le fameux thème est répété de différentes manières par Molvaer qui crée ainsi un accompagnement circonspect, avant que Fresu n'en développe une improvisation impliquant une réelle articulation.

Encore incomplète, trop peu développée, cette rencontre à trois devrait à mon sens être reprise, pour ainsi atteindre sa vitesse de croisière. Si cela se reproduit de nouveau, beaucoup de substance pourrait émerger de cette expérience souhaitable.

Jon Hassell n'est plus très actif, dit-on, mais... le septuagénaire peut se rassurer quant à la pertinence de son legs.