À 61 ans, Gil Scott Heron ne s'est pas vu réapparaître. Encore lui aurait-il fallu d'abord disparaître, enfin... si l'on s'en tient à sa perception. Le poète, écrivain et chanteur afro-américain, artiste engagé et d'autant plus visionnaire, croit encore moins être un miraculé parce que le succès lui sourit de nouveau après au terme d'une période sombre de son existence.

De loin, il préfère se réjouir qu'on se souvienne de son travail. « Je trouve plutôt miraculeux de parler avec quelqu'un de familier avec mon travail ! J'ai eu du mal à expliquer à plein de jeunes journalistes qui n'en savaient rien », amorce-t-il, non sans finesse.

Dans les années 70 et 80, doit-on néanmoins rappeler, Gil Scott Heron fut un artiste crucial de la mouvance afro-américaine. Les titres percutants de ses textes ont fait école, pour ne pas citer The Revolution Will Not Be Televised, le plus célèbre d'entre tous. Le rythme et la qualité de ses mots enrobés de soul, jazz et blues furent une source d'inspiration pour le hip hop naissant à l'époque. Une forme à l'endroit de laquelle il s'est montré critique, d'ailleurs.

Gil Scott Heron fut surtout acclamé au cours des années 70 et durant la première moitié des années 80. C'est alors que le label Arista l'a laissé tomber. Après ? Sa trajectoire a été plus discrète, bien qu'il ait momentanément refait surface en 1994 avec l'unique album Spirits (étiquette TVT). Gil Scott Heron, lui, dit ne s'être jamais arrêté.

« J'avais commencé l'écriture d'un livre en 1995. J'avais arrêté de tourner pour rester en phase avec mon écriture, mais je jouais occasionnellement. Parallèlement, j'ai enregistré plein de trucs sans les rendre publics. Lorsque je relançais ce nouveau matériel, d'ailleurs, je réalisais que les gens appréciaient, on m'invitait de nouveau à monter sur scène. Disparu ? C'est aujourd'hui que je me rends compte avoir disparu ! » ironise-t-il.

I'm New Here

Bon bon. N'insistons pas sur sa résurrection... sans oublier que le récent album de Gil Scott Heron, I'm New Here, paru cet hiver, n'en a pas moins relancé le buzz. Le Britannique Richard Russell, grand patron de XL Recordings (M.I.A., Thom Yorke, The White Stripes, Devendra Banhart, etc.), a lui-même réalisé cet opus excellent qui met en relief des écrits du poète.

« Il est l'ami de mon éditeur (Jamie Byng, Canogante Publishing), il savait que je travaillais sur un livre. Il est venu à ma rencontre, il m'a demandé de produire mon prochain album, un rêve qu'il caressait depuis toujours. J'ai accepté de le laisser mettre en musique des textes connus - tirés d'un livre de poésie paru en 1970 ainsi que de Now and Then, publié en 2000.

« Ainsi, j'ai aidé Richard à réaliser son rêve, pense notre interviewé. Un peu comme j'avais moi-même rêvé d'écrire un roman alors que j'avais 19 ans. J'avais alors quitté le collège, déménagé en Pennsylvanie dans un endroit obscur où je travaillais pour 20$ par semaine afin de me nourrir. J'y avais passé six mois afin d'écrire ce roman, pour ensuite rentrer à New York et y reprendre mes études. Pendant cette période de création, j'avais été tellement absorbé par ce projet que tout ce qui y était étranger m'importunait. Alors ? Quand Richard Russell m'a parlé de son rêve, j'en ai compris la portée. »

Quant à la musique de I'm New Here, elle a mijoté au Clinton Studio de la 46e rue - à Manhattan. Essentiellement synthétique, elle fut enrichie d'instruments sans qu'on puisse conclure à l'oeuvre d'un groupe. Ce qui ne semble pas ravir Gil Scott Heron outre mesure.

« Ces sons peuvent vous sembler neufs, alors que j'en faisais déjà l'expérience. Ces sons sont repérables sur B Movie, Message to the Messenger, We Almost Lost Detroit,des chansons créées il y a longtemps. Lorsque Richard m'a dit son intention de faire une musique de synthés, je lui ai suggéré d'embaucher Malcolm Cecil avec qui j'avais déjà travaillé. Mais il a préféré le faire lui-même. »

Avec les résultats qu'on sait : immense succès critique à travers la planète, I'm New Here sera de tous les tops 10 au terme de l'année 2010. Gil Scott Heron est loin de s'en plaindre, bien qu'il interprète cet impact avec un grain de sel.

« Puisque ces textes existaient déjà, je trouve intéressant que leur combinaison ait été si attractive. Je suis heureux pour Richard et je suis heureux pour moi. Bien sûr, c'est mon album au bout du compte. Mais je dois admettre que les critiques ont été plus positives que je ne l'aurais cru. »

De nouveau sur la route

Remis sur les rails des grands circuits, Gil Scott Heron a pu repartir en tournée. Que les détenteurs de billets au Club Soda se le tiennent pour dit, très peu de l'album I'm New Here sera repris sur scène.

« Parce que nous ne pouvions reproduire fidèlement le son de l'album. En fait, lorsque vous vous présentez avec des musiciens, vous présentez des chansons, alors que le matériel de I'm New Here est essentiellement constitué de poèmes dont on ne pouvait recreer l'environnement sonore sur scène. »

Sauf exceptions (notamment Me And The Devil, reprise du myhique bluesman Robert Johnson), Gil Scott Heron a préféré sélectionner du matériel de plusieurs albums antérieurs : « Nous avons imaginé de nouveaux arrangements pour les chansons telles Pieces of A Man, Is That Jazz ?, The Bottle, Three Miles Down, Did You Hear What They Said ?, Work for Peace, We Almost Lost Detroit, etc. Nous avons cru bon de puiser dans toute la discographie, sans savoir exactement ce que les gens connaissaient de mon travail. En tout cas, j'ai un super groupe, j'ai du plaisir sur scène, et l'auditoire semble apprécier. »

Le groupe de Gil Scott Heron, tient-il à préciser, n'est constitué que de « vieux potes » : le saxophoniste Carl Cornwell le fréquente depuis l'université, la claviériste Kim Jordon travaille avec lui depuis 25 ans, le claviériste et harmoniciste Grant Turner fut de l'aventure Amnesia Express, on en passe. « J'ai pris les meilleurs avec qui j'ai joué pour ainsi reformer un groupe. »

Il va sans dire, Gil Scott Heron refuse d'associer le succès retrouvé à quelque rédemption post-judiciaire alimentée par quelque surenchère médiatique.

« Si ça peut arranger les médias, moi ça ne m'arrange pas. Ça ne rend pas cet album plus attractif. Mes problèmes personnels ? Chacun d'entre nous a des problèmes personnels, je ne me nourris pas des problèmes des autres. Oui, j'ai déjà été arrêté avec de la cocaïne dans les poches, ce qui m'a valu deux ans et demi de détention dans différentes prisons. Oui, il s'est produit quelque chose que je ne souhaitais pas... »

Pour être plus précis, Gil Scott Heron fut arrêté en 2001 pour possession de cocaïne et de crack. En 2003, il fut été arrêté de nouveau pour possession de substance interdite. En 2006, il fut condamné pour avoir bris de condition, ayant fui un centre de réhabilitation pour toxicomanes. Deux ans et demi d'emprisonnement, si on fait la somme de ses séjours réels.

« Dans mon nouvel album, tient-il à indiquer, je n'ai mis que des choses qui m'importaient vraiment. Aucun texte n'est lié à ces périodes de détention. Lorsque tu reviens de telles épreuves, tu appelles ça le passé. »

Est-il besoin d'ajouter que Gil Scott Heron se concentre sur aujourd'hui et sur demain, un peu comme la métaphore que suggère sa chanson I Think I'll Call It Morning et dont il explique le contenu en guise de conclusion. « Tu as la chance de te réveiller chaque matin, et t'appliquer à faire mieux que la veille. C'est tout ce que j'essaie d'accomplir... tout en espérant ajouter ma pierre à l'édifice. »

Gil Scott Heron et son ensemble se produisent ce vendredi, 19h, au Club Soda.