Le spectacle arrive précédé d'une violente controverse en France. Mais pour le metteur en scène italien Roméo Castellucci, un habitué du Festival TransAmériques (FTA), le théâtre est là pour remettre en question la condition humaine. Quitte à diviser les gens.

Sa pièce a fait scandale à Paris l'automne dernier. Qualifiée de «christianophobe», elle a provoqué des manifestations violentes menées par des intégristes catholiques. Mais Roméo Castellucci ne regrette rien. Comme l'a écrit le quotidien Libération, «Sur le concept du visage du fils de Dieu n'est pas un spectacle dont on ressort avec le sourire, et Roméo Castellucci ne vise pas le consensus».

«J'ai essayé avec beaucoup de naïveté de parler aux manifestants, de leur expliquer ma démarche artistique, dit Castellucci, joint au téléphone à Cesena, en Italie. Or, c'est impossible car ils ne sont pas du tout intéressés par l'art. D'ailleurs, aucun n'a vu le spectacle. Nous ne vivons pas sur la même planète.»

Il faut dire que ces opposants représentaient une minorité catholique et que la Conférence des évêques de France a condamné les manifestations. Dans un communiqué, le metteur en scène a répondu aux attaques avec des mots fort symboliques: «Je leur pardonne car ils ne savent pas ce qu'ils font.»

Le chapelet sur scène

Créé sans heurts en Allemagne, il y a deux ans, Sur le concept du visage du fils de Dieu avait été bien reçu par la critique et le public. Puis, en octobre dernier, quand la pièce a pris l'affiche du Théâtre de la Ville à Paris, la polémique a pris le dessus. Des groupes d'intégristes ont tenté d'empêcher l'accès au théâtre en bloquant les portes. Ils ont insulté et agressé le public en l'aspergeant, entre autres, d'huile de vidange, de gaz lacrymogènes, d'oeufs et de boules puantes. La police a dû intervenir à plusieurs reprises, mais des militants qui avaient acheté des billets ont réussi à occuper la scène et à faire interrompre la pièce... pour réciter le chapelet!

La raison de tout ce bordel? En toile de fond du décor, Castellucci a accroché un immense portrait de Jésus, une reproduction cadrée serrée d'un tableau de la Renaissance peint par Antonello Da Messina. Sous le regard direct, impassible, mystérieux de ce Christ, un fils doit s'occuper de son père incontinent. Il le lavera et le changera à quelques reprises. Longueurs et odeurs en prime.

«Depuis 2000 ans, la figure du Christ est omniprésente dans nos vies, même modernes, même laïques», dit Castellucci, lorsqu'on lui demande pourquoi avoir reproduit le visage du Christ. «Ce visage illumine le propos et interroge chaque spectateur en profondeur. Il n'y a pas de consolation dans ce regard.»

Dans la deuxième partie de la pièce, une douzaine d'enfants courent sur la scène et jettent des grenades sur le portrait. Puis, ils s'en vont et des larmes noires coulent sur la figure du Christ, un voile d'encre finit par la recouvrir entièrement. À la fin, la toile se déchire et laisse apparaître , en gros caractères néon, la phrase «You are my shepherd», avec un mot qui clignote: «not».

Pourquoi cette négation? «Je fais un théâtre du questionnement, un théâtre de l'inquiétude, dit-il. Je joue sur l'ambiguïté. Ce spectacle est une réflexion sur la condition humaine, sur le mystère de la fin. Les excréments dont le vieux père incontinent se souille ne sont que la métaphore d'une déchéance ultime et réelle.

«Aujourd'hui, la religion a perdu sa capacité de poser des questions, et l'art a pris sa place, poursuit Castellucci. Je crois que ces extrémistes sont jaloux de cette spiritualité profonde qui s'est réfugiée dans l'art. Sans généraliser, l'Église a perdu son influence dans les grands débats de société. Aujourd'hui, le Vatican produit des slogans, du marketing... Tandis que l'art est encore capable de toucher la corde sensible de l'âme.»

Sur le concept du visage du fils de Dieu, au Théâtre Jean-Duceppe, les 31 mai, 1er, 2 et 3 juin.