Entre la dernière représentation de Face à face et la première fois que Patrick Huard est remonté sur scène pour roder Le bonheur à Terrebonne, 11 années se sont écoulées. Entre les deux, Patrick Huard a fait mille et un projets avant de se rendre compte que la scène lui manquait et que malgré ses rôles au cinéma et à la télé, il était fondamentalement un gars de scène et un humoriste. Rencontre.

Veston en laine marine, chemise blanche, pull bleu ciel, cravate à rayures et mouchoir blanc glissé dans la poche de son veston, Patrick Huard a changé de look. Fini les jeans, les pantalons en cuir, les chaînes en argent, les t-shirts moulants sur les biceps musclés de motard tatoué. À 43 ans, Patrick Huard a adopté l'allure d'un petit monsieur respectable et rangé. Raison? «Donne un biberon à un enfant de 6 ans et il va subitement avoir l'air vieux. C'est la même affaire pour les vêtements. Maintenant, je m'habille comme un gars de mon âge et le plus drôle, c'est que pour ma femme, un veston-cravate, c'est aussi sexy que de la lingerie» dit Patrick Huard en commandant un bocaccino dans le café du Vieux-Montréal. C'est ici qu'il va passer les quatre prochaines heures à donner des entrevues aux 15 minutes pendant l'unique journée qu'il consacre à la promotion de son nouveau spectacle. Pour un hyperactif comme lui, qui n'a peut-être pas inventé le multitâches, mais qui l'a pratiqué allégrement, ne faire qu'une seule journée de promotion sans visiter aucun studio sauf celui de Paul Arcand et sans se pointer au lancement du disque de Star Académie qui avait lieu en même temps, est inhabituel. Mais selon ce que j'en comprends, Huard a fait le ménage dans ses priorités et décidé que l'important, c'était de travailler son spectacle jusqu'à la dernière minute. Le reste n'a qu'à attendre.

Je l'accueille avec une citation de 2008 où il m'expliquait pourquoi il ne voulait plus faire de tournée. «Je suis trop vieux pour dormir tous les soirs dans des motels bruns au tapis shag miteux. À 20 ans, faire le tour de la province et être sur scène tous les soirs, c'est cool. À 40 ans, c'est différent.» Il rigole en entendant ses propos puis s'empresse de corriger le tir. «Les choses ont changé. Quand je pars en tournée, c'est avec la famille au complet. Anik m'accompagne tous les soirs avec bébé Nathan, et ma fille Jesse nous rejoint souvent. Maintenant, la famille a sa loge avec un coin pour les couches et l'allaitement et un autre pour les devoirs. Maintenant, au lieu de faire la run de lait, on s'installe dans les grandes villes pour une semaine ou deux. Des fois, on loue même une maison. C'est pas mal plus agréable.»

C'est la faute à Star Académie

Mais encore. Il y a 11 ans, l'humoriste avait fini par développer une réelle aversion pour la scène et la cruelle obligation de faire rire à tout prix un public qui en voulait pour son argent et qui n'admettait pas les temps morts ni les moindres chutes d'adrénaline. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien si Patrick Huard est allé se faire voir ailleurs: il en avait soupé de la scène. Que s'est-il donc passé pour qu'il ait envie de plonger à nouveau? D'où est venu le déclic? «De Star Académie, il y a trois ans, dit-il. Quand j'ai vu le feu dans les yeux des jeunes, quand je me suis mis à leur expliquer mon métier, tout m'est revenu. J'ai appelé mon gérant, François Flamand, et lui ai dit de booker un théâtre tout de suite, peu importe lequel, je voulais remonter sur scène et ça pressait. Je me suis rendu compte que la scène, c'est un privilège qui n'est pas donné à tous les artistes. En plus, j'avais retrouvé deux éléments indispensables: avoir envie d'être sur scène et avoir quelque chose à dire.» Sur le coup, son agent l'a cru à moitié, persuadé que cette lubie lui passerait. Mais Huard a insisté avec la fougue dont il est capable et tout s'est mis en branle. En apprenant que Huard retournait sur scène, un jeune finissant de l'École de l'humour du nom de Sébastien Ravary a décidé de tenter sa chance. Il a pris contact avec l'agent de Huard en lui expliquant qu'il avait écrit un numéro expressément pour Huard. Est-ce que je peux lui présenter? L'agent lui a fait comprendre que ce n'était pas possible. En revanche, il lui a proposé d'écrire quelques sketches pour la série web Traitement choc sur Lib Tv dans laquelle Huard joue le rôle d'un psy à mi-chemin entre le dictateur et le psychopathe. La chimie a été si féconde que c'est Huard lui-même qui a demandé à Ravary de coécrire Le bonheur avec lui. «J'avais envie de briser mes patterns et de ne pas me retrouver avec l'équipe habituelle avec qui je vais sans doute retravailler, mais avec un gars de 26 ans, qui est connecté sur l'humour d'aujourd'hui, qui sait ce qui se fait, qui est drôle, avec un rythme, un vocabulaire, des références différentes des miennes.»

Le bonheur, c'est épuisant

Le résultat de cette rencontre entre l'humour de deux générations, c'est un spectacle en deux parties: une première partie avec Huard en vrai pendant une heure et des poussières qui nous raconte sa femme, son bébé, son ado de 14 ans, sa vie de banlieusard à Boucherville et l'importance de son pénis, responsable de sa nouvelle béatitude familiale. Puis Rogatien, son personnage de chauffeur de taxi réactionnaire, entre en scène, avec le pied dans le tapis et la veine dans le front. En l'espace de 30 minutes, il démolit tout ce que son alter ego a construit.

«On vit dans un monde cynique où des mots comme bonheur, amour, tendresse, sincérité, sont considérés comme quétaines. Moi, j'ai décidé d'assumer le quétaine en moi, plaide Huard. Cela dit, le bonheur c'est simple, mais ce n'est pas facile. En même temps, je ne connais personne qui se lève le matin en se disant "j'espère que je vais me faire chier toute la journée." On veut tous être heureux. Pas juste individuellement, collectivement aussi. Le bonheur, c'est s'affirmer comme peuple. C'est s'impliquer et s'engager par des gestes aussi simples que de refuser le travail au noir ou de payer ses impôts sans chialer ou sans essayer de placer son argent dans des paradis fiscaux. Bref, le bonheur, c'est de l'ouvrage.»

Chassez l'humoriste et il revient au galop

Patrick Huard est dans le métier depuis un peu plus de 17 ans. Or, pendant toutes ces années, l'humoriste n'a créé que trois spectacles. Pendant ce temps-là, l'acteur tournait dans 17 films et 7 téléséries, cédant le pas au réalisateur qui a signé deux longs métrages et la réalisation des quatre saisons de Taxi 0-22 à la télé. Malgré ses nombreuses infidélités professionnelles et le fait que Huard soit maintenant considéré comme un acteur à part entière, il revendique son statut d'humoriste plus fort que jamais.

«Je suis fondamentalement un humoriste, dit-il, au sens d'artiste populaire et de conteur d'histoires. Pour moi, la scène est la mère de tous les médiums. C'est de là que je viens et c'est là que je retourne comme le saumon qui remonte le cours de la rivière. Mon éloignement de la scène a été bénéfique et m'a gardé frais et vivant. En ce moment, je me sens comme un kid de 20 ans. Chaque soir, j'ai hâte de remonter sur scène, de maîtriser cette espèce de dialogue en continu avec la foule. C'est une belle vie que celle d'humoriste. T'as toute ta journée pour écrire et réfléchir. T'arrives à la fin de l'après-midi, tu parles à ton monde, tu révises tes textes. À 8h30, t'embarques sur scène. Et là, ce qui arrive n'arrive qu'une fois. Le lendemain, c'est une autre affaire. C'est merveilleux. Au lieu de rendre des comptes ou de répondre aux questions de 63 personnes en costume-cravate à qui t'as présenté ton scénario pour qu'ils le financent, tu fais rire les gens, tu leur donnes du bon temps. Qu'est-ce que tu veux de plus?»

En 2012, Patrick Huard donnera 70 représentations du Bonheur. Quand on sait qu'il lui est déjà arrivé de faire 218 spectacles en 7 mois, c'est peu. Idéalement, Huard aimerait donner une cinquantaine de représentations du spectacle par année, mais sur une période de 6 ou 7 ans. C'est ce qu'il vise pour l'instant, sans savoir si le public le suivra. En attendant, il fermera boutique pendant trois mois l'été prochain. Dès les premières chaleurs de juin, il chargera le pick-up et avec sa petite tribu mettra le cap sur la Gaspésie où il est en train de se faire construire une maison. La maison n'est pas au bord de la mer, mais au fond du bois. Pour Patrick Huard, le bonheur n'est pas dans le pré. Il est dans le bois. Pour autant qu'il puisse en sortir de temps en temps.