«Les faits divers ont auprès des écrivains d'aujourd'hui une popularité qui se compare à celle du XIXe siècle, quand Maupassant faisait la concurrence aux journalistes», affirme le Parisien Franck Evrard qui a publié en 1998 un essai intitulé Littérature et faits divers.

M. Evrard passe en revue une cinquantaine d'oeuvres françaises du genre dans son essai, mais on en compte assurément des centaines.

Certains auteurs avaient déjà goûté au journalisme (comme Émile Gaboriau, considéré comme l'inventeur du roman policier français). D'autres se servent de l'actualité pour rendre leurs personnages et leur contexte plus crédibles. Trop crédibles, parfois... En 2007, Mazarine Pingeot, la fille de François Mitterrand, a été menacée de poursuites en s'inspirant d'un cas célèbre pour raconter, dans Le cimetière des poupées, l'histoire d'une mère ayant caché le cadavres de son enfant dans son congélateur.

Au Québec, la tendance est moins marquée qu'en France, note Pierre Szalowsky, Montréalais d'origine française et auteur de Le froid modifie la trajectoire des poissons, qui se déroule durant la crise du verglas de 1998. «Ici les gens sont plus réservés face aux faits divers, dit-il. On dirait que c'est moins noble, trop voyeur.»

Ex-journaliste, Louis Caron a écrit Il n'y a plus d'Amérique à partir de l'histoire de deux adolescents jetés dans le fleuve du haut du pont Jacques-Cartier en 1979. Il confirme que le Québec romanesque utilise moins le fait divers: «Nous sommes trop envahis par les questions d'identité, par notre statut de petit îlot au milieu d'un continent.»

Et pourtant, l'actualité offre de nombreux avantages aux romanciers. «Je fais des faits divers ou des événements historiques comme 1837 ou octobre 1970 le noyau dur, l'ADN de mes romans, dit M. Caron. Autour de ce noyau, je tisse des événements fictifs qui pourraient s'être passés. C'est le sang, l'oxygène qui me permet de vivre mon rôle de romancier.»

Pierre Szalowski compare l'exploitation des faits divers à l'utilisation des personnalités des gens qui l'entourent. «En France, j'observais les gens dans les trains de banlieue, ici dans un café. J'arrive presque toujours à deviner ce que les gens font dans la vie. En partant de vraies personnes, de faits qui se sont réellement passés, on peut imaginer des personnages et des contextes crédibles. En ce moment, je travaille à un roman qui se passe durant le référendum de 1995. J'ai vu les six heures de couverture télévisée, c'est un suspense très riche. J'utilise par ailleurs un personnage créé de toutes pièces, et c'est beaucoup plus ardu.»

Recourir à un fait divers signifie-t-il sombrer dans la facilité? «Je ne crois pas qu'on puisse vraiment se sortir de ses propres expériences, de toute façon», estime Dominique Fortier, qui participe au projet de La Presse.

«Je ne crois pas que ce soit une coïncidence si le mot « nouvelle » désigne à la fois l'actualité et une courte production littéraire, et que «roman» se dise en anglais «novel». À la base, on raconte une histoire. Pour que cette histoire soit vraisemblable, il faut la tirer de son expérience personnelle. Il y avait à la fin du XIXe siècle un très beau mot, «ostranénie», qui désignait une histoire familière qui nous permettait de voir le monde avec un nouveau regard. Les romans qui m'ont le plus touchée sont ostranémiques. Aristote lui-même disait que cette ressemblance puis ce détachement était à la base de la tragédie. S'il y avait déjà pensé voilà 2000 ans, ça veut dire quelque chose. »

Démontrer le sens caché

Y a-t-il des inconvénients à recourir aux faits divers? L'écrivain devient-il otage de la réalité? «L'écrivain est toujours libre», rétorque Marie Hélène Poitras, une autre participante au projet de La Presse, qui avoue conserver une boîte de coupures de journaux pour s'en inspirer. «C'est pour ça qu'on écrit en début du roman que toute ressemblance avec une personne est fortuite.»

L'écrivain qui s'inspire de l'actualité peut en démontrer le sens caché sans s'encombrer des détails, croit Jean-Jacques Pelletier, dont la série «Le bien des autres» utilise de nombreux éléments du monde industriel et politique pour tisser un complot. «Le plus beau compliment que me font mes lecteurs, c'est de me dire que je les aide à mieux comprendre le monde, dit M. Pelletier. Mes romans sont des immenses métaphores.»

Jadis correspondant en Afrique pour Radio-Canada, Gil Courtemanche s'inspire lui aussi de l'actualité - internationale dans son cas. Son premier roman, Un dimanche à la piscine à Kigali, se passe durant le génocide rwandais. Le prochain, Le monde, le lézard et moi, qui paraîtra en novembre, porte sur un criminel de guerre congolais. «J'ai imaginé ce qui se passerait si un chef de guerre était libéré pour des raisons procédurales», précise l'écrivain.

«La fiction n'existe pas, conclut-il. C'est seulement la réalité poussée à l'extrême.»