Des 30 pavillons nationaux établis dans les Giardini, celui du Canada est, cette année, l'un des plus originaux. Alors qu'Ottawa a décidé de refaire une beauté à ce petit édifice qui a près de 60 ans, Geoffrey Farmer en a «explosé» l'architecture en faisant décalotter le toit du bâtiment et en retirant toutes les parois vitrées de sa façade. Évoquant symboliquement l'ouverture retrouvée du Canada alors que les frontières et les esprits ont tendance à se fermer.

Des 30 pavillons nationaux établis dans les Giardini, celui du Canada est, cette année, l'un des plus originaux. Alors qu'Ottawa a décidé de refaire une beauté à ce petit édifice qui a près de 60 ans, Geoffrey Farmer en a «explosé» l'architecture en faisant décalotter le toit du bâtiment et en retirant toutes les parois vitrées de sa façade. Évoquant symboliquement l'ouverture retrouvée du Canada alors que les frontières et les esprits ont tendance à se fermer.

Cette nouvelle oeuvre de Farmer, entièrement créée en Europe, est un tournant dans sa carrière. L'artiste a utilisé pour la première fois le bronze, l'aluminium et la céramique.

«Ç'a été très excitant, mais l'installation a été compliquée. Il a fallu construire une ligne électrique, créer un nouveau drain pour l'eau et un système informatique!», explique Geoffrey Farmer.

Aéré, le pavillon salue aussi Venise avec un matériau local abondant: l'eau. En son centre, Farmer a reproduit la fontaine maure de la cour intérieure du San Francisco Art Institute, où il a étudié, un endroit qui a marqué sa vie intellectuelle.

Jaillit de cette fontaine en céramique un immense geyser, source d'espoir et symbole de vie, qui s'en va chatouiller, 15 m plus haut, les feuilles des deux grands arbres, intégrés à l'origine dans la structure du pavillon.

L'eau retombe sur des planches en bronze greffées à la fontaine. Des planches qui illustrent un accident dont a été victime son grand-père Victor en 1955 alors que son véhicule chargé de 71 planches de bois a heurté un train. Il est mort quelques mois plus tard.

À côté de la fontaine, une sculpture en forme d'horloge «grand-père» est transpercée d'une hache, d'une bêche, d'un burin et d'un pieu. Des références à son enfance, à ce même grand-père, mais aussi à une illustration (issue du Fasciculus medicinae, de Johannes de Ketham, publié à Venise en 1491) dans laquelle le personnage est traversé par des armes tranchantes.

Créée à la fonderie de Saint-Gall, en Suisse, l'horloge fonctionne à l'eau... qui asperge d'ailleurs le visiteur s'il passe trop près!

On trouve aussi dans le pavillon une mante religieuse en bronze lisant un ouvrage et, à l'extérieur, une auge en pierre dans laquelle Farmer a inséré des tuyaux métalliques provenant des décombres d'une école ayant brûlé à Cape Dorset, un extrait en bronze du Kaddish d'Allen Ginsberg et une petite fontaine d'eau potable dont le jet jaillit du sol quand on s'approche du trou.

Un hommage aux fontaines publiques de Venise qui offrent une eau pure provenant des Dolomites; un message aux touristes qui, dit-il, y consomment 13 millions de bouteilles d'eau en plastique... dont on retrouve malheureusement des traces dans la lagune; et une allusion aux migrants qui jouent à pile ou face sur les eaux de la Méditerranée. «L'eau, c'est aussi ça», a dit Geoffrey Farmer lors du vernissage.

Ouverture canadienne

À la fois difficile à décrypter et esthétique, l'assemblage de sculptures évoque des moments de la vie de Geoffrey Farmer et de sa famille, des souvenirs heureux ou malheureux qui ont fait de lui l'homme et l'artiste qu'il est devenu. Une oeuvre personnelle, donc, mais résultant aussi d'un travail effectué sur la mémoire des lieux. 

Farmer a fait des recherches sur l'histoire des Giardini, notamment après que Napoléon (qui a conquis Venise en 1797) eut ordonné la destruction des maisons de ce quartier et réalisé une colline avec les décombres, colline sur laquelle se trouve le pavillon canadien, qui domine d'ailleurs tous les autres.

Il a aussi voulu évoquer l'affirmation passée du Canada quand la fédération a acquis une certaine respectabilité en se dotant d'un pavillon en 1958, un an après la création du Conseil des arts du Canada. Le directeur du CAC, Simon Brault, était d'ailleurs présent au vernissage, mercredi dernier, tout comme le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau.

Enfin, Farmer a voulu souligner le rôle de la firme d'architectes italiens qui a construit le pavillon et dont un des associés est mort dans un camp de concentration nazi pendant la Seconde Guerre mondiale.

«Ce lieu est important et rempli d'émotions, car il embrasse l'esprit de ces architectes et leur approche philosophique.»

«J'ai tenu à aborder la Seconde Guerre mondiale et l'Holocauste, car il faut en parler aujourd'hui, surtout quand on pense à l'atmosphère politique qui sévit dans le monde, ces pays qui se ferment alors que le Canada ne cesse de s'ouvrir, poursuit l'artiste. Notre pavillon est une manifestation de cette ouverture et on doit la célébrer.»

Artiste sensible, Farmer n'hésite pas à dire que cette expérience vénitienne est comme un nouveau monde qui s'est ouvert à lui, alors qu'il va avoir 50 ans. «C'est aussi une oeuvre pour essayer de m'échapper», ajoute-t-il, expliquant pourquoi il l'a intitulée Une issue à travers ce miroir.

L'Allemagne récompensée

L'Allemagne et l'artiste Anne Imhof (qui était à la Biennale de Montréal avec Angst, l'automne dernier) ont remporté le Lion d'or pour la meilleure participation nationale à la 57e Biennale de Venise, samedi. L'Allemand Franz Erhard Walther (Allemagne) a remporté le Lion d'or du meilleur artiste; l'artiste avait exposé ses oeuvres de tissu performatives à la Power Plant de Toronto, l'an dernier. Le Lion d'argent pour un artiste émergent est allé à Hassan Khan (Grande-Bretagne/Égypte), et des mentions spéciales ont été décernées à Charles Atlas (États-Unis) et Petrit Halilaj (Kosovo).

Photo Francesco Barasciutti, fournie par Geoffrey Farmer

Une issue à travers ce miroir, de Geoffrey Farmer (2017), comprend une  petite fontaine d'eau potable dont le jet jaillit du sol quand on s'approche du trou.