Ce n'est pas parce qu'on regarde la RAI italienne qu'on ne peut pas regarder TVA la Québécoise. Et ce n'est pas parce qu'on écoute la radio haïtienne de Montréal qu'on ne peut pas écouter Radio-Canada. En s'abreuvant autant aux médias ethniques qu'aux médias grand public, les néo-Québécois se sont créé une identité hybride qui revendique autant la différence que l'appartenance.

C'est ce qui ressort de l'étude L'attachement des communautés culturelles aux médias, dirigée par Florian Sauvageau (du Centre d'études sur les médias de l'Université Laval) et Serge Proulx, (du Groupe de recherche et d'observation sur les usages et cultures médiatiques de l'UQAM), qui fera l'objet d'un colloque demain à l'UQAM, avec différents intervenants du milieu médiatique et universitaire, incluant le propriétaire de la radio haïtienne CPAM, Jean-Ernest Pierre.

«Ce qu'on retient de cette étude, c'est que les Québécois issus de l'immigration entretiennent un attachement très fort envers les médias de leur communauté ou de leur pays d'origine, mais également envers les médias de la société d'accueil, résume Serge Proulx. Il n'y a pas d'identité divisée, mais plutôt une identité double intégrée.»

Pour le projet, la firme CROP a réalisé un sondage auprès de 900 répondants, issus de trois communautés significatives implantées au Québec, soit les Italiens, les Haïtiens et les Maghrébins. Sans surprise, ce sont les immigrations plus récentes qui semblent les plus attachées aux médias dits «ethniques», que ce soit la radio, la télé, les imprimés ou l'internet.

Ainsi, 76 % des Maghrébins disent s'informer dans les médias de leur pays d'origine ou dans les médias ethniques locaux, alors que ce chiffre tombe à 66 % chez les Haïtiens et à 57 % chez les Italiens. Ces chiffres augmentent sensiblement quand il s'agit d'immigrés de 55 ans et plus ou d'immigrés nés à l'extérieur du pays. Il est à noter que cette consommation ne se fait pas au détriment des médias grand public, puisque 80 % des Italiens, 100 % des Haïtiens et 99 % des Maghrébins attachés aux médias ethniques disent aussi «fréquenter» les médias canadiens francophones, télé, radio et journaux inclus.

«Ce concept d'une double identité est fort intéressant, mais soulève des questions, ajoute Florian Sauvageau. Si vous immigrez physiquement, mais que vous restez rattaché à votre pays d'origine, notamment par le biais des médias, cela veut-il dire que vous n'immigrez qu'à moitié? Et qu'est-ce que cela nous dit sur la société d'accueil? À mon avis, cela pose aussi le problème de la représentativité des communautés culturelles dans les médias grand public. Hormis quelques exceptions, c'est comme si elles se sentaient absentes de cette réalité. Il est donc possible que si elles restent à ce point attachées à leurs médias d'origine, c'est qu'il leur manque quelque chose dans les médias d'ici.»

Médias ethniques 2.0

Avec l'éclatement des médias traditionnels, ces questions se poseront d'une autre façon dans l'avenir, estiment les deux chercheurs. Par leur nature même, les nouveaux médias sociaux suggèrent déjà la notion d'une «identité flottante», qui n'est plus rattachée à un territoire physique ou géographique, mais à toutes sortes de «sources d'identification» complémentaires, propres aux particularités de chacun.

«Les énièmes générations d'immigrés sont aussi fragmentées que notre société, conclut Serge Proulx. Certains sont en rupture avec leurs origines. D'autres veulent retrouver leurs racines. Mon intuition, c'est que cette diversité va prendre sa place dans les médias sociaux, qui deviendront le nouveau lieu d'échange communautaire. Dès lors, la question de l'identité ne sera plus pensée comme quelque chose de stable, cristallisé autour d'un noyau dur. Elle va plutôt nous renvoyer à la métaphore du millefeuille.»

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L'attachement des communautés culturelles aux médias: l'identité à l'ère des médias transnationaux. Vendredi 5 février de 13 h 15 à 17 h 15. Salle des boiseries, pavillon Judith-Jasmin, UQAM.