On entre dans L'espérance de vie des éoliennes comme dans le premier tome de Millenium. Sauf que le personnage principal n'est pas un journaliste économique, mais un ingénieur de Montréal, dépêché dans un champ d'éoliennes au fin fond de la Gaspésie pour résoudre un problème mécanique.

Accueilli par une femme du village, Jeanne d'Arc (Danielle Proulx), qui le loge dans la vieille maison inhabitée de son grand-père, notre homme, Antoine (Luc Bourgeois), découvre quelques-uns des secrets de cette maison familiale avec vue sur ces éoliennes; il y vivra un drame qui ébranlera ses certitudes.

Le parallèle s'arrête là. Puisqu'il n'y a point ici d'énigme ni de méchants, comme dans la trilogie de Stieg Larsson. Mais le texte de Sébastien Harrisson (qui s'étire inutilement vers la fin) possède ce rythme entraînant qui nous maintient en haleine, et qui a le mérite de soulever une réflexion intéressante sur le progrès technologique.

Car ces éoliennes ne sont que le prétexte de l'auteur (originaire de la Gaspésie) pour opposer deux mondes: celui du passé et celui du présent. Celui des mots écrits, des racines et de la spiritualité; et celui dans lequel nous vivons, c'est-à-dire un monde moderne, techno et, surtout, profondément athée.

Échanges électroniques

Parmi les scènes marquantes de la mise en scène inspirée de Frédéric Blanchette: les échanges électroniques d'Antoine et Laure, sa femme restée à Montréal. Sur scène, Antoine est assis devant son ordinateur. Derrière lui est projetée l'image de sa femme qui lui parle grâce à une webcaméra.

L'effet est totalement réussi. D'abord, il accentue le fossé qui existe entre ces deux êtres qui s'aiment, mais qui se cherchent, appuyant sur ce paradoxe bien de notre temps selon lequel on communique plus que jamais tout en étant franchement distants dans nos rapports humains.

Ces échanges révèlent également le jeu fin et réaliste de Catherine-Anne Toupin, touchante et vraie, et juste assez détestable dans son désir d'avoir un enfant avec Antoine. Le gros plan de son visage permet d'amplifier des émotions exprimées avec beaucoup de naturel et de justesse.

Dans son rôle d'Antoine, Luc Bourgeois - qu'on a vu récemment dans l'adaptation de Vingt mille lieues sous les mers à Denise-Pelletier - parvient à construire un personnage intéressant, hyper rationnel, mais n'a pas toujours le ton juste qui fait disparaître l'acteur derrière le personnage.

Dimension spirituelle

Et puis, il y a toute la dimension mystique et spirituelle de la pièce incarnée par ce personnage-fantôme de Clément (oncle de Jeanne d'Arc), jeune séminariste disparu il y a longtemps (interprété par Dany Boudreault), qui revisite les lieux de son enfance, évoquant ces vers de Léo Ferré: «On danse toujours avec les morts...»

Malgré des dialogues parfois un peu trop descriptifs, il y a plusieurs moments très touchants dans cette création sensible et intelligente de Sébastien Harrisson. Le rôle de Jeanne d'Arc, composé avec beaucoup de subtilité par Danielle Proulx, demeure le pivot central de L'espérance de vie des éoliennes.

Sa Jeanne d'Arc est tout aussi attachante dans sa relation avec Antoine que dans celles avec Liang (Mélodie Lapierre), adolescente de 13 ans qui vit une terrible peine d'amour. La jeune fille entrera d'ailleurs en contact avec Clément, avant qu'il ne se produise un «incident» malheureux.

Au fond, tous ces personnages nous invitent à accepter la part mystérieuse de la vie. Comme la présence surnaturelle de Clément; l'incident de Liang; la grossesse de Laure; et comme cette éolienne défectueuse qui, par un curieux hasard du destin, se remet à fonctionner toute seule.

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L'espérance de vie des éoliennes. De Sébastien Harrisson. Mise en scène de Frédéric Blanchette. Jusqu'au 6 février au Théâtre Jean-Duceppe.