Dans le cadre de son 10e anniversaire, le Centre d'exposition de l'Université de Montréal présente jusqu'au 29 mars Continuité d'un projet inachevé. Cette exposition juxtapose des travaux récents de l'Espagnol Ricardo Calero avec la série de gravures Los disparates de son célèbre compatriote Francisco Goya.

Parmi les oeuvres qui traversent le temps, les 18 gravures de l'énigmatique série des Disparates de Goya, grand peintre, mais aussi graveur génial, continuent de fasciner près de 200 ans après leur création.

 

Ayant inspiré notamment Delacroix, Manet et Redon, ces sombres représentations de l'humanité ont aussi profondément touché Baudelaire qui parlait d'un art à la fois «transcendant et naturel».

À l'époque de la vignette romantique et des planches documentaires en gravure, la démarche avant-gardiste de l'oeuvre inachevée de Goya - il existerait quatre autres pièces dans cette série qui ne sera publiée qu'après sa mort - a permis à Ricardo Calero de rendre un vibrant et pertinent hommage à son prédécesseur, enfant de la région de Saragosse tout comme lui.

«C'est un défi presque impossible de poursuivre le travail Goya, a-t-il raconté à La Presse lors du vernissage la semaine dernière. Je suis allé travailler dans son village en m'inspirant de deux aspects fondamentaux de son oeuvre: rompre avec la technique traditionnelle et parler de thèmes sociaux.»

L'art conceptuel de Calero rompt, pour ainsi dire, brutalement avec l'idée même de gravure. S'il utilise eau-forte et pointe sèche, l'artiste espagnol innove cependant avec des matériaux comme des balles de revolver tirées à bout portant, la lumière, le sol, la végétation ambiante, etc.

«Ce n'est pas une idée désincarnée, note l'artiste qui en est à sa deuxième exposition à Montréal. Je cherchais littéralement la lumière et la présence de Goya en travaillant dans la terre qui l'a vu naître, en enfouissant du papier dans le sol où il a marché, en utilisant des pierres qu'il avait peut-être poussées du pied dans sa jeunesse.»

En gravure, davantage qu'en peinture, Francisco Goya exprimait ses obsessions et sa vision critique d'une société qu'il envisageait avec peu d'espoir à la fin de sa vie. Les Disparates nous offrent des personnages grotesques, aux yeux hagards ou vides, dans des situations inquiétantes, voire hallucinées.

Sans partager le pessimisme du grand maître, puisque la nature finit par triompher chez lui, Ricardo Calero pousse cette réflexion à sa limite esthétique dans ses propres gravures, dispersées en huit séries où le chiffre 22 est omniprésent. Les thématiques qu'il aborde évoquent tantôt la mémoire ou la vacuité, la force des éléments et la violence à son paroxysme.

«La gravure c'est une pression qui imprime une trace sur le papier. J'ai donc remplacé l'encre par un projectile provenant d'un pistolet. Qu'y a-t-il de plus percutant? À travers chaque orifice de balle, c'est une vie qui s'échappe», explique-t-il.

La technique produit un effet sans équivoque. D'autant plus que sa critique de la violence repousse les frontières de l'absurde puisqu'il a fait appel à des soldats de la Garde civile nationale pour «torturer» le papier 22 fois plutôt qu'une.

Ricardo Calero réussit son pari. En noir et blanc, et sur papier, sa réflexion sur la bêtise humaine commence où celle de Goya finit.

Après Rome, Venise, Prague, Washington, et avant Berlin, l'exposition Continuité d'une oeuvre inachevée est un incontournable de la rentrée montréalaise. Cette rencontre aussi inattendue qu'inespérée entre un grand artiste du passé et un contemporain donne, une fois de plus, une bonne idée de ce que peut être une véritable métropole culturelle en action.

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Continuité d'une oeuvre inachevée, jusqu'au 29 mars, au Centre d'exposition de l'Université de Montréal. Info: www.expo.umontreal.ca