Une nouvelle saison lancée et deux mises en scène d'affilée: la directrice du Rideau Vert n'arrête jamais. Parce que la vie, c'est ici et maintenant.

En mai 2002, lors d'une rencontre avec Denise Filiatrault pour la promotion d'Irma la douce, la femme de théâtre nous avait confié qu'elle se donnait jusqu'à 75 ans avant de prendre sa retraite... Dix ans plus tard, elle vient d'annoncer ses choix pour la saison 2012-2013 du Rideau Vert et elle signera deux nouvelles mises en scène: Une vie presque normale pour sa compagnie, et Chantons sous la pluie pour le Théâtre Juste pour rire.

À 80 ans, Denise Filiatrault pourrait s'offrir le luxe de rester chez elle à la Cité du Havre ou dans son condo en Floride. C'est bien mal la connaître. Elle ne fuit pas tant l'ennui que la routine. Sa pire ennemie. Alors l'octogénaire travaille, voyage, voit des spectacles et lit des textes, pensant sans cesse à un projet à monter ou à réaliser.

Le suivant, c'est cette Vie presque normale, une comédie musicale dont le sujet est la maniaco-dépression! On y observe les répercussions de la maladie mentale d'une mère qui a perdu un enfant en bas âge sur une famille américaine ordinaire. Next to Normal de Brian Yorkey (livret) et Tom Kitt (musique) a été créé en 2008 à New York, a récolté trois prix Tony et un Pulitzer. «Il s'agit plus de théâtre musical, chanté presque d'un bout à l'autre, que d'une comédie musicale, précise la metteure en scène. C'est un opéra pop qui propose, outre un sujet d'actualité, un univers musical très riche.»

La directrice artistique reconnaît avoir hésité avant de produire cette pièce. «C'est difficile à monter, parce que c'est écrit comme un scénario de cinéma. Avec le scénographe (Jean Bard), on s'est inspirés du décor de Broadway, qui facilite les changements de lieux. Mais on l'a adapté aux dimensions plus réduites du Rideau Vert.»

Depuis toujours, Denise Filiatrault donne la chance à de nouveaux venus de faire leurs premiers pas au théâtre: Karine Vanasse dans Irma la douce; Émily Bégin dans Nine; Véronique Claveau dans Revue et corrigée et maintenant dans Une vie presque normale... «Je ne me donne pas le mandat de lancer des carrières, rétorque-t-elle. C'est plus égoïste de ma part: c'est parce qu'ils sont bons. En m'entourant de solides comédiens, je doute moins de moi.»

Le syndrome de Lola Lee

À certains égards, l'histoire de Denise Filiatrault fait penser à celle de Lola Lee, ce personnage de Michel Tremblay qu'elle a créé dans Demain matin, Montréal m'attend, en 1970. Une waitress de province venue faire carrière dans la chanson à Montréal. Lola Lee a monté une à une les marches du succès, mais elle n'est jamais arrivé au bout de son insécurité...

«Chaque fois que je chantais La complainte de Lola Lee en répétition, se souvient Denise, je pleurais et je n'arrivais jamais à la finir! Tellement qu'André [Brassard] et Michel [Tremblay] se demandaient si je serais capable de la chanter à la première...»

Bien sûr, elle y est parvenue. Comme elle est arrivée à toucher à tout, avec succès. Au cours de 60 ans d'une carrière qui l'a menée de la Grand Jaune des Belles histoires... à Gina de Gilles Carle, en passant par Moi et l'autre avec Dominique Michel. Puis la réalisation au cinéma, sans oublier ses pièces à succès qu'elle porte à la scène depuis 25 ans.

«Plus jeune, j'étais trop insécure pour ne pas toucher à tout, dit-elle. Je ne voulais pas mettre tous mes oeufs dans le même panier. De nos jours, c'est plus difficile. La compétition est forte. À mon époque, il n'y avait (presque) personne qui pouvait tout faire, donc on me prenait chaque fois.

«J'ai eu une belle jeunesse et j'ai une belle vieillesse. Je suis très chanceuse. Tant que j'aurai la santé, je resterai à la direction artistique du Rideau Vert.»

- Si on vous faisait une offre intéressante, remonteriez-vous sur les planches?

- Non, non, non. Juste d'apprendre un texte par coeur et d'avoir à me maquiller chaque soir, ça ne me tente pas!

«J'ai fait une journée de tournage pour Laurence Anyways, parce que je l'aime bien, le petit Dolan. Je joue une serveuse de restaurant. Quand je me suis vue sur la bande-annonce, j'ai trouvé ça terrible! J'ai l'air d'avoir 115 ans! Jamais plus ils ne vont me reprendre. C'est terminé!»

Comme Denise aime le dire: on passe au prochain appel!

Une vie presque normale, au Théâtre du Rideau Vert, à compter du 15 mai.

Top 5 des comédies musicales de Denise Filiatrault

- West Side Story. Le premier spectacle de Broadway que j'ai vu avec mon mari à New York en 1957.

- Cabaret. Pour l'histoire qui dépeint la montée du nazisme et les chorégraphies extraordinaires de Bob Fosse.

- Billy Elliot. Mon gros coup de coeur des 10 dernières années. La musique, le livret, la mise en scène, tout est bien fait.

- My Fair Lady. Une pièce que j'ai montée aussi au Rideau Vert, en 2006. Une belle musique et une histoire d'amour entre une jeune femme et son Pygmalion.

- Jesus Christ Superstar. Un chef d'oeuvre que j'ai vu au Festival de Stratford l'été dernier.