Les heures de l'oligopole Bell-Telus-Rogers sont comptées dans le marché du sans-fil. Une nouvelle concurrence s'organise et promet de livrer une bataille sans merci pour prendre sa place dans cette industrie aux 12,7 milliards de revenus. Un combat féroce, dont l'impact devrait d'abord se faire sentir dans la poche des consommateurs. Tour d'horizon des chambardements à venir.

Stéphane Dubé appréhende chaque mois l'arrivée de sa facture de téléphone sans fil. En moyenne, parce qu'il fait beaucoup d'interurbains, il verse plus de 270$ à son fournisseur. Un montant «abusif», dit-il, qu'il doit continuer à payer en raison d'un contrat de trois ans signé l'été dernier.

«Je venais de perdre mon appareil quand j'ai signé, j'avais vite besoin d'un téléphone pour travailler», raconte l'ingénieur de son de Granby, qui regrette amèrement d'avoir ratifié une entente si longue, prohibitive à annuler.

Même si M. Dubé souhaitait changer de fournisseur, ses choix seraient bien limités dans le marché actuel, contrat ou pas. Dans la vaste majorité des régions du pays, Bell, Rogers et Telus sont seuls à offrir la téléphonie mobile. Ils empochent en moyenne 58$ par mois par client, une des factures les plus élevées au monde.

Le temps de l'oligopole tire toutefois à sa fin. Industrie Canada a accordé une série de licences à 15 «nouveaux entrants» cet été, pour forcer une concurrence accrue dans l'industrie du sans-fil. Les entreprises gagnantes - Globalive, Quebecor et DAVE Wireless en tête - sont agressives et promettent d'investir des sommes colossales pour bâtir leurs propres réseaux. La bataille s'annonce féroce.

L'objectif de ces aspirants fournisseurs n'a rien de sorcier: mettre la main sur une partie du lucratif marché canadien de la téléphonie mobile, dont les recettes ont atteint 12,7 milliards l'an dernier. Une percée qui se fera d'abord sentir... dans le portefeuille des consommateurs.

«Les tarifs des différents services vont se rapprocher de ceux pratiqués aux États-Unis, alors que l'écart est aujourd'hui très important», prévoit Iain Grant, analyste en télécommunications à la firme montréalaise SeaBoard Group.

Dans leur ensemble, les nouveaux venus, qui ont pour la plupart décroché des licences régionales, vont représenter l'équivalent d'un quatrième fournisseur national, selon la firme de notation new-yorkaise Moody's. Dans un rapport récent, l'agence a abaissé sa perspective sur Bell, Rogers et Telus «en raison de la concurrence grandissante qui va mettre une pression à la baisse sur les prix» d'ici 12 à 18 mois.

Guerre de prix?

Selon Troy Crandall, expert en télécoms chez MacDougall, MacDougall&MacTier, les nouveaux fournisseurs vont lancer une série de forfaits qui n'existent pas à l'heure actuelle au Canada. Des offres qui, sans trop casser les prix à la minute, se traduiront en fin de compte en réelles économies pour les abonnés.

«Par exemple, il pourrait être possible de conserver les minutes inutilisées à la fin du mois et de les utiliser le mois suivant, comme cela se fait aux États-Unis», explique-t-il.

Moody's prévoit de plus l'apparition de forfaits nationaux illimités, qui permettront aux abonnés d'utiliser leur portable n'importe où au Canada sans frais d'interurbain ou d'itinérance. Tous les grands fournisseurs américains offrent déjà de tels plans, note l'agence.

Les frais connexes, comme les 6,95$ facturés pour l'accès au réseau, devraient en outre disparaître du portrait, estiment plusieurs analystes.

Normand Turgeon, professeur titulaire de marketing à HEC Montréal, entrevoit de son côté une «guerre de promotions» qui fera baisser la facture de bien des consommateurs. «Ça va se jouer, en fin de compte, sur des forfaits qui vont être tellement différenciés qu'on va réussir à pénétrer le segment de marché qu'on veut pénétrer. Par exemple, quelqu'un qui n'est pas intéressé par les textos n'aura pas à payer pour ce service.»

Attaque préventive

La concurrence promet d'être intense, et les trois fournisseurs établis ont amorcé ces derniers mois ce qui ressemble à une attaque préventive. Telus a lancé en mars Koodo Mobile, qui offre des forfaits simples et relativement abordables. Virgin Mobile (une coentreprise de Bell Canada) a pour sa part dévoilé cet été une série de nouveaux forfaits, à grands renforts de publicité. Toutes deux ont déjà aboli les frais d'accès au réseau.

Rogers, numéro 1 au pays, s'est aussi montré très agressif depuis quelques semaines avec sa filiale Fido. Le groupe a lancé le forfait «Gros Fido», qui offre 2000 minutes de conversation et la navigation web illimitée pour 40$ par mois (plus des frais d'accès de 7,45$ et le coût des options).

Fido a par la suite dévoilé, début septembre, un forfait à 17,50$ par mois (plus les frais) comprenant 200 minutes de jour en semaine et les soirs et week-ends illimités. Une offre qu'on peut seulement obtenir en signant un contrat de trois ans.

Les trois fournisseurs existants multiplieront les ententes longue durée au cours des prochains mois, prévoient les experts, dans le but de fidéliser le plus de clients possible. Autant de gens qui ne pourront faire le saut chez les nouveaux concurrents dans un an, à moins de payer une copieuse pénalité.

«Tous ceux qui sont bloqués dans du 12, 24 ou 36 mois sont faits à l'os, dit le professeur Normand Turgeon. C'est pourquoi les nouveaux fournisseurs vont aller chercher les nouveaux clients à la chaloupe... et non au paquebot!»

La torontoise Globalive vise à gagner 1,5 million de clients pendant ses trois premières années d'activités, puis 3,5 millions par la suite, en offrant des services prépayés dans les grands centres urbains (sauf au Québec).

Quebecor, qui a décroché des fréquences sans fil partout au Québec et à Toronto, n'a pour sa part pas encore divulgué ses cibles en nombres d'abonnés, ni son plan d'affaires. Pierre Karl Péladeau, le grand patron du conglomérat médiatique, devrait donner une conférence de presse au cours des prochaines semaines pour annoncer les grandes lignes de sa stratégie.

À quoi peut-on s'attendre? Quebecor disait l'an dernier vouloir offrir de très bas prix dans le sans-fil, comme il l'a fait au lancement de la téléphonie résidentielle de sa filiale Vidéotron en 2005. Mais l'entreprise a entre-temps dépensé beaucoup plus que prévu -555 millions de dollars- pour obtenir des licences d'Industrie Canada, ce qui pourrait avoir modifié ses plans.

Le groupe prévoit dépenser entre 800 millions et 1 milliard au cours des quatre prochaines années pour bâtir son réseau (coût des licences inclus), a déclaré M. Péladeau mardi à Toronto. Nettement plus que le demi-milliard prévu au départ.

Chose certaine, Vidéotron multipliera les offres groupées avec ses autres produits - télévision, téléphonie résidentielle et internet - dans le but d'attirer un maximum de clients. Plus le nombre de services choisis augmentera, plus la facture baissera.

Globalive, soutenu par son partenaire égyptien Orascom Telecom, vise pour sa part des investissements de 1,9 milliard d'ici 10 ans. La société, surtout connue pour son service d'interurbains à rabais Yak, ouvre la porte à un partenariat avec Quebecor et d'autres fournisseurs dans le but de s'assurer une présence nationale.

Les «nouveaux entrants» misent gros sur le taux de pénétration relativement faible du cellulaire au Canada pour se bâtir une solide base de clientèle. Ce taux, à 62%, est de loin inférieur à celui des États-Unis et de l'Europe.

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La comparaison de quatre téléphones intelligents (format PDF)