(Washington) Les entreprises américaines ne pourront plus investir librement à l’étranger dans les technologies les plus avancées, au premier rang desquelles l’intelligence artificielle (IA) ou l’ordinateur quantique, si cela concerne des « pays problématiques », citant notamment la Chine, a annoncé mercredi le département du Trésor dans un communiqué.

La décision, issue d’un décret signé par le président Joe Biden, doit permettre de « défendre la sécurité nationale américaine en protégeant les technologies critiques de la prochaine génération d’innovations militaires », a précisé le Trésor, qui souligne par ailleurs l’aspect « strictement limité » du décret afin de « maintenir notre attachement aux investissements transfrontaliers ».

Concrètement, les nouvelles règles imposent aux entreprises, et particuliers, américains d’informer l’administration pour certains types de transactions et interdisent purement et simplement d’autres dès lors qu’elles impliquent des « entités en lien avec les technologies avancées identifiées dans le décret ».

« La Chine assume sa volonté d’acquérir et de produire des technologies clés essentielles pouvant aider à la modernisation de son armée, ce décret vise précisément à limiter les investissements américains dans les entreprises impliquées dans cet effort », a expliqué lors d’une conférence de presse téléphonique un responsable du gouvernement Biden.

La crainte de l’administration est de voir la Chine profiter des investissements américains non seulement en termes de transfert de technologies, mais également via « des bénéfices intangibles », tels que de l’accompagnement dans la mise en place de lignes de production, des échanges de connaissances et d’accès aux marchés.

« Lors du dernier Sommet du G7, les dirigeants ont souligné notre intérêt commun à protéger de manière appropriée les technologies sensibles ayant des implications en termes de sécurité nationale, et l’intérêt d’un contrôle des investissements en la matière », a-t-on ajouté de même source.

Pour autant, le décret ne devrait pas concerner certains types de transactions, dès lors qu’elles concernent des entreprises cotées ou des filières d’entreprises américaines.

« C’est un grand pas en avant », a estimé Nicholas Lardy, chercheur pour le PIIE, « car il ne s’agit plus seulement de restrictions des exportations, mais désormais également des capitaux, ce qui n’était jusqu’ici par arrivé ».

« Réduire les investissements à long terme »

Mais il estime que si les États-Unis cherchent seuls à « couper les financements provenant des fonds d’investissements privés ou issus du capital risque », l’effet pourrait être au final limité ?

Par ailleurs si le volume des transactions et leur montant total concernés par ces restrictions pourraient être au final très réduits, l’impact réel de cette décision pourrait être plus large, estime pour sa part Emily Benson, directrice de projet sur le commerce et les technologies pour le CSIS.

« Il est possible que, même si elles ne sont pas visées directement par les interdictions, certaines entreprises pourraient réfléchir à deux fois au type d’investissements qu’elles pourraient réaliser, ce qui pourrait réduire les investissements bilatéraux à long terme », a-t-elle ajouté.

Cette nouvelle décision est un pas supplémentaire dans les tentatives américaines d’éviter que la Chine ne réduise l’écart technologique existant pour l’heure entre les deux superpuissances.

En octobre dernier, les États-Unis avaient en effet annoncé renforcer les contrôles aux exportations vers la Chine des semi-conducteurs de haut de gamme « utilisés dans des applications militaires ».

Les Pays-Bas et le Japon, également producteurs de semi-conducteurs, avaient emboîté le pas des États-Unis en mars dernier, la Chine répliquant à son tour en annonçant des restrictions des exportations de certains produits, dont les métaux rares nécessaires à la fabrication de semi-conducteurs.

Craignant des restrictions supplémentaires sur les exportations, les géants technologiques chinois se sont dépêchés d’acheter à l’Américain Nvidia des puces nécessaires aux nouveaux systèmes d’IA générative, d’après le Financial Times.

Selon le quotidien économique, Baidu, ByteDance, Tencent et Alibaba ont passé des commandes d’environ 1 milliard de dollars en tout pour acquérir les précieux composants cette année, ainsi que 4 milliards de commandes pour des processeurs graphiques à livrer en 2024.

Les semi-conducteurs ultra sophistiqués de Nvidia sont en forte demande depuis que le lancement de ChatGPT a inauguré une course intense à l’IA générative.

En visite en Chine en juillet dernier, la secrétaire au Trésor Janet Yellen avait souligné la volonté d’avoir des mesures précises et ciblées et non avec le but de découpler totalement les économies des deux principales puissances mondiales.

« J’ai rappelé que nos mesures sont très ciblées et centrées sur quelques secteurs pour lesquels nous avons des craintes en termes de sécurité nationale », avait alors déclaré Mme Yellen, qui rappelait en même temps que l’objectif « n’est pas de provoquer un dérèglement complet des investissements » américains en Chine.