Les assureurs ont accès aux détails intimes de votre état de santé, de vos habitudes, de votre situation financière, de votre vie familiale. Ils suivent même parfois vos déplacements en voiture. Vont-ils trop loin dans leur quête de renseignements personnels?

En assurances comme dans bien d'autres domaines, les entreprises qui vous offrent des services veulent en savoir toujours plus sur vous.

Toutes les raisons semblent bonnes pour recueillir, conserver et partager les détails de votre vie privée: se protéger contre le risque que vous représentez, vous offrir de meilleurs tarifs - ou vous faire payer plus cher -, vous proposer d'autres services, etc.

Ça vous indispose? C'est à vous, comme consommateur, de prendre connaissance des conditions fixées par les entreprises et de décider si elles vont trop loin, souligne Isabelle St-Pierre, porte-parole de la Commission d'accès à l'information (CAI). «C'est au client de lire le contrat et d'accepter ou non de faire affaire avec un fournisseur, pourvu que le consentement soit clair», dit-elle.

Mais selon Me Patricia Kosseim, avocate au Commissariat à la vie privée du Canada, on aurait tort de s'en remettre au libre arbitre des consommateurs. «Il est facile de dire qu'il suffit de «refuser»: ne pas regarder de films en continu, ne pas acheter de téléviseur intelligent, ne pas conduire de nouvelle voiture, ne pas utiliser de dispositif de surveillance chez soi, ne pas naviguer sur l'internet et ne pas porter sur soi ni utiliser un téléphone cellulaire», a souligné l'avocate, lors d'une récente conférence sur la protection de la vie privée. «Mais soyons réalistes. Pourquoi devrions-nous avoir à choisir entre protéger notre vie privée et participer pleinement à la société - même si cela signifie simplement regarder les dernières séries sur Netflix?»

L'accélération de la circulation des informations exige, selon elle, que les gouvernements légifèrent pour encadrer l'usage que les entreprises peuvent faire de nos renseignements personnels.

Surtout que, quand il s'agit d'assurances, l'enjeu est beaucoup plus important que d'avoir accès ou non à une banque de films: on parle de protection pour votre famille en cas de décès ou de soutien financier pour vous en cas de maladie.

Quand l'ADN n'est pas assurable

Depuis qu'il est possible de commander un décodage de ses gènes sur l'internet presque aussi facilement que l'on achète une chanson en ligne, les risques de «discrimination génétique» de la part des compagnies d'assurance vie à l'endroit de leurs clients inquiètent les scientifiques et défenseurs des droits des malades.

La discrimination génétique signifie qu'on refuse d'assurer un consommateur si des tests d'ADN révèlent qu'il risque de contracter certaines maladies.

Dernièrement, les compagnies d'assurances ont adopté un code par lequel elles s'engagent à ne pas demander à un client de passer un test génétique avant de lui accorder une couverture. Cependant, elles continuent d'exiger l'accès aux résultats de tests qu'un assuré aurait déjà subis.

Voilà qui est dangereux et contraire à l'intérêt des patients, souligne Me Ida Ngueng Feze, du Centre de génomique et politique de l'Université McGill. «Parce qu'ils ont peur de ne plus pouvoir s'assurer, des patients refusent de passer des tests génétiques, qui seraient importants comme outils de prévention, surtout pour ceux qui ont des enfants ou des frères et soeurs», dit-elle.

Il y a un an, dans le discours du Trône, le gouvernement a annoncé qu'il entendait interdire la discrimination génétique par les compagnies d'assurances. Au même moment, un projet de loi était déposé par un sénateur libéral, proposant d'empêcher les assureurs de consulter les résultats de tests génétiques de leurs clients.

Les compagnies d'assurances plaident qu'elles doivent avoir accès à ces tests, comme aux autres informations sur l'état de santé et les antécédents familiaux des clients, pour évaluer le risque qu'ils représentent et fixer le coût de leurs primes.

Si un consommateur sait qu'il représente un risque élevé mais que l'assureur ne le sait pas, «la personne est plus susceptible de bénéficier de l'assurance, et ce, à un prix inférieur à celui qu'elle devrait normalement payer. Cela l'amène à demander un montant d'assurance plus élevé», un phénomène qu'on appelle «antisélection», a expliqué Frank Swedlove, président de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP), à la fin du mois de septembre, devant le comité du Sénat qui étudie le projet de loi. «L'antisélection conduit à une hausse généralisée du coût de l'assurance, a-t-il poursuivi. Un rapport de l'Institut canadien des actuaires conclut que si les assureurs n'avaient pas accès aux résultats de tests génétiques, le coût de l'assurance vie temporaire au Canada pourrait augmenter de 30% pour les hommes et de 50% pour les femmes. Cette hausse des coûts pousserait probablement beaucoup de Canadiens, surtout les moins fortunés, à ne pas souscrire d'assurance vie ou maladie.»

Toutefois, les tests génétiques ne sont pas encore assez au point pour que leur impact soit si grand, selon le commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien. «Les individus peuvent subir des tests génétiques pour des raisons médicales valables, dans un cadre clinique. Mais certains utilisent aussi des tests offerts sur l'internet pour la recherche, pour établir la paternité en vue d'une grossesse, pour en savoir plus sur leurs ancêtres ou simplement par curiosité, a-t-il souligné devant le même comité. La capacité de prédire avec un degré de certitude raisonnable l'état de santé et l'espérance de vie d'une personne à partir de tests génétiques est relativement faible à l'heure actuelle.»

La Coalition canadienne pour l'équité génétique souligne que les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Union européenne et l'Australie ont légiféré pour qu'aucun test génétique ne puisse empêcher un individu d'avoir accès à l'assurance en raison de renseignements trouvés dans son ADN.

L'assurance auto qui vous suit à la trace

Depuis peu, des assureurs vous proposent de réduire vos primes d'assurance auto en prouvant que vous êtes un bon conducteur. Vous acceptez qu'un capteur installé dans votre voiture mesure vos freinages, vos accélérations, vos heures de sorties et la distance que vous parcourez.

Mais ce Big Brother que vous traînez partout suscite la méfiance. Voici pourquoi:

→ L'appareil enregistre beaucoup plus de données que ce qui est nécessaire pour établir les tarifs d'assurance (emplacement du véhicule par GPS, vitesse, type de route).

→ L'assureur prévient qu'il devra communiquer des informations sur les déplacements d'un client si la police ou un tribunal en fait la demande, à la suite d'un crime ou d'un litige.

→ Les fournisseurs d'appareils télématiques peuvent partager et vendre les informations recueillies avec des tiers, en enlevant les informations permettant d'identifier un consommateur, disent-ils.

→ Certains fournisseurs d'appareils télématiques, qui recueillent les données, sont des filiales d'entreprises étrangères ou ont des liens avec celles-ci - par exemple, des organisations italiennes et russes. Les renseignements personnels des clients pourraient se retrouver à l'extérieur du pays, où les lois protégeant la vie privée sont différentes.

→ Il n'est indiqué nulle part que les informations appartiennent au consommateur, et elles ne sont pas transférables lorsqu'il change d'assureur.

Le Commissariat à la vie privée a lancé il y a quelques mois une étude sur ces pratiques et leurs conséquences sur la vie privée. L'Autorité des marchés financiers (AMF) et la CAI étudient aussi l'utilisation de cette technologie et pourraient suggérer une façon de l'encadrer, si nécessaire.

Les renseignements qui valent cher

«Bonjour, Mme Ladouceur! Je vous appelle pour vous offrir une assurance vie pour votre nouveau-né. Quel est son nom, d'ailleurs? C'est gratuit pour la première année, profitez-en!»

Mais comment diantre le représentant de cette compagnie d'assurances avec laquelle vous n'avez jamais fait affaire connaît-il votre nom, en plus de savoir que votre famille vient de s'agrandir? Est-ce ce concours, dans un magasin de meubles pour bébés, qui a fait que votre nom s'est retrouvé sur une liste de nouveaux parents? Les compagnies d'assurance vie achètent peut-être aussi des listes d'envoi auprès de courtiers en données, qui approvisionnent les télémarketeurs de toutes sortes.

«Il faut cependant que les consommateurs aient donné leur consentement pour que leur nom soit utilisé pour des offres de ce genre», souligne Claude DiStasio, de l'ACCAP.

Un cas où les autorisations n'avaient certainement pas été demandées s'est retrouvé sur la place publique il y a quelques mois, à Toronto: des listes de noms de mères qui venaient d'accoucher, avec leurs informations personnelles, ont été vendues par des employés d'un hôpital à une institution financière, qui s'en serait servi pour faire de la sollicitation.