Bernard Madoff n'avait pas que de lointains clients européens ou américains. Ici même, au Québec, se trouve une importante institution qui avait placé 200 millions US dans un des fonds liés au fraudeur: le Mouvement Desjardins.

Cette information se trouve dans une requête qui a été déposée hier, en Cour supérieure, à Montréal. La requête a été inscrite par le syndic américain Irving H. Picard. Le syndic demande au tribunal l'autorisation d'interroger les gestionnaires de Desjardins qui ont investi dans l'un des fonds liés à Bernard Madoff appelé Fairfield Sentry Limited.

«Le syndic est en train de mener des interrogatoires et de demander des documents des diverses parties qui ont investi avec Bernard Madoff Investment Securities, incluant ceux qui ont investi dans Fairfield Sentry, tel DGAM Funds (Desjardins gestion d'actifs)», est-il écrit dans la requête.

La requête ne précise pas combien Desjardins a investi dans Fairfield Sentry, décrit comme un fonds de couverture (hedge fund) des îles Vierges britanniques. Toutefois, en annexe de la requête se trouve une série d'ordres de vente des fonds émanant de Desjardins.

Ces ventes ont été ordonnées entre septembre et novembre 2008, en pleine crise financière, soit avant l'éclatement du scandale et la faillite de Bernard Madoff, en décembre 2008. Globalement, ces six ordres de vente ont permis à Desjardins de récupérer 198,9 millions US.

Le mandat du syndic est notamment «de recouvrer des biens de clients de Bernard Madoff (...) pour le bénéfice des créanciers», précise la requête. Le syndic a également autorité pour enquêter sur toutes les affaires de Bernard Madoff Investment Securities. Il agit en vertu de la loi américaine Securities Investor Protection Act (SIPA) et de la Loi américaine des faillites.

Joint au téléphone, le porte-parole de Desjardins, André Chapleau, avait pris connaissance de la requête au moment de notre appel, hier après-midi.

Pas directement

«Desjardins n'a pas investi dans Madoff, mais dans des fonds de fonds qui, eux, avaient investi dans Madoff. La nuance est importante.Desjardins n'est pas accusé de quoi que ce soit. Le syndic cherche seulement des renseignements», a dit M. Chapleau, qui assure que l'institution collaborera.

André Chapleau ne veut pas nous indiquer quelle somme, au total, Desjardins a investie dans les fonds Fairfield Sentry. L'institution ne détenait plus rien lors de l'éclatement du scandale, en décembre 2008.

La liquidation de Desjardins a eu lieu dans le contexte plus global de la vente de l'ensemble de ses fonds de couverture, à l'automne 2008, fonds qui totalisaient 4 milliards de dollars. Ces fonds étaient au coeur de l'ingénierie financière qui permettait à Desjardins d'offrir à ses clients certains des fameux «certificats de placements boursiers garantis».

200 millions à rembourser?

L'aventure Madoff pourrait tout de même causer des maux de tête à Desjardins. En vertu des lois sur la faillite, Desjardins pourrait être tenu de rembourser ces 200 millions au syndic, même si l'institution n'avait aucune connaissance de la fraude.

Les lois donnent en effet au syndic le pouvoir de récupérer les sommes que des entités de Bernard Madoff ont versées à certains dans les mois précédant la faillite. Plus précisément, la période est de trois mois avant la faillite pour les personnes non liées et d'un an pour les personnes liées, nous indique l'avocat Neil Stein, expert dans le domaine.

Les 200 millions dont il est question dans la requête ont justement été récupérés par Desjardins dans les trois mois précédant la faillite de Bernard Madoff, le 11 décembre 2008.

«Normalement, aux États-Unis, quand il est démontré que quelqu'un a été payé dans les 90 jours précédant la faillite, il est très facile pour un syndic d'obtenir un jugement exigeant un remboursement. Ce remboursement peut être obtenu en vertu des règles sur les paiements préférentiels. Si un créancier est favorisé par rapport aux autres, le tribunal peut exiger remboursement», explique M. Stein.

La connaissance ou non de la fraude n'y change rien, dit M. Stein. Au Canada, un tel remboursement au syndic est plus difficile, mais tout de même possible.

Une guerre de juridiction est donc à prévoir. Desjardins pourrait aussi invoquer qu'il n'a pas investi directement dans Bernard Madoff Investment Securities, mais dans Fairfield Sentry.

La fraude de Bernard Madoff, rappelons-le, est évaluée à 65 milliards de dollars. Elle s'apparente à un stratagème à la Ponzi. Les fonds des investisseurs n'ont pas été placés. Les rendements versés aux investisseurs étaient plutôt payés avec leur propre capital et celui des nouveaux investisseurs jusqu'à ce que les coffres soient vides.