La Régie des rentes du Québec est intervenue en Cour supérieure pour forcer la forestière AbitibiBowater, actuellement en restructuration judiciaire, à verser plus d'argent dans ses régimes de retraite.

L'organisme gouvernemental vient toutefois de se désister en raison des coûts faramineux qui auraient découlé de sa requête.

Selon un rapport de la firme Mercer déposé vendredi, la demande de la Régie des rentes aurait contraint l'entreprise montréalaise à effectuer des versements additionnels de 92,6 millions $ pendant la seule année 2009. Devant cette facture potentielle, le contrôleur d'Abitibi, le cabinet comptable Ernst & Young, s'est opposé net à la requête de la Régie.

«Quand on a constaté que 92,6 millions $ serait la cotisation additionnelle requise, on est arrivés à la conclusion que compte tenu des liquidités actuellement disponibles au sein de la compagnie (environ 110 millions $), il n'y avait pratiquement aucunement chance qu'un tribunal donne suite à notre requête», a expliqué Mario Marchand, actuaire principal à la Régie des rentes, au cours d'un entretien téléphonique.

La Régie n'a pas eu accès aux états financiers des régimes de retraite avant de déposer sa demande devant le juge Clément Gascon, qui supervise la restructuration d'AbitibiBowater, le 12 juin, a précisé M. Marchand.

Dans sa requête, la Régie des rentes plaidait que les cotisations actuelles de l'employeur aux régimes de retraite sont insuffisantes pour éviter «une détérioration additionnelle de leur situation financière». En fait, si la situation actuelle persiste, certaines caisses de retraite «financeront illégalement le maintien des opérations» d'AbitibiBowater, soutenait la Régie.

Dans ses projections, Mercer exclut cependant tout scénario catastrophe. En maintenant les cotisations actuelles, le ratio de solvabilité des régimes de retraite, qui s'élevait à 79 pour cent au 31 décembre 2008, chuterait à 74,3 pour cent à la fin 2010, en tenant compte d'un rendement annuel de placement de 5,5 pour cent. En répondant à la demande de la Régie, AbitibiBowater ferait passer le ratio à 77,7 pour cent en décembre 2010.

En mai, la juge Danièle Mayrand, de la Cour supérieure, a permis à AbitibiBowater de suspendre les versements spéciaux visant à renflouer ses régimes de retraite canadiens, qui cumulaient un déficit actuariel de 1,29 milliard $ au 31 décembre 2008.

Devant le tribunal, la Régie des rentes rappelait qu'en avril, le contrôleur avait établi les obligations de l'employeur à l'égard des régimes de retraite en suivant l'«approche de solvabilité» (qui tient pour acquis une liquidation imminente). Or, AbitibiBowater verse actuellement ses cotisations en suivant l'«approche de capitalisation» (qui prévoit que les régimes survivront à long terme).

Il serait donc «prudent et approprié» qu'Abitibi augmente ses cotisations pour éviter que la «créance éventuelle» des régimes de retraite n'augmente dans le cadre de la restructuration, avançait la Régie.

L'organisme soulignait qu'il dispose du pouvoir de recommander à son ministre responsable, Sam Hamad, la prise d'un règlement pour contraindre AbitibiBowater à augmenter ses versements aux régimes de retraite. Toutefois, «par respect pour le tribunal et le processus de restructuration», l'organisme disait avoir choisi d'emprunter la voie judiciaire.

AbitibiBowater prévoit verser 38,2 millions $ à ses régimes de retraite en 2009. Ce montant aurait augmenté à 130,8 millions $ en suivant la proposition de la Régie, soit 92,6 millions $ de plus.

Ernst & Young affirme n'avoir jamais vu une entreprise en restructuration judiciaire calculer ses cotisations aux régimes de retraite en utilisant l'«approche de solvabilité».

Les syndicats des travailleurs des pâtes et papier et des employés de bureau de l'ancienne usine d'AbibitiBowater à Donnacona appuyaient la démarche de la Régie des rentes devant la Cour supérieure.

La Régie, qui cherche un moyen de protéger les retraités et les employés d'entreprises en restructuration judiciaire, promet de faire une analyse détaillée de son intervention dans le dossier d'Abitibi avant de répéter l'expérience. Il faudra notamment déterminer si les coûts (avocats, experts comptables) sont justifiés en regard des résultats qu'on peut atteindre de façon réaliste.