Pour plusieurs, le dégel des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis laisse entrevoir un boom économique et de bonnes occasions, mais pour des Québécois habitués à faire des affaires au pays des Castro, le portrait est un peu moins rose.

Étant donné qu'ils sont situés à seulement 400 kilomètres de l'île communiste, les Américains désireux d'exporter auront un avantage concurrentiel indéniable, estime l'homme d'affaires Daniel Côté, propriétaire du magasin d'électroménagers montréalais Ameublement Elvis.

Celui qui a commencé à exporter de nombreux produits comme des fours et frigos à Cuba au début des années 1990 est catégorique: dès l'arrivée des entreprises américaines - d'ici deux ou trois ans à son avis - il n'aura pas le choix de quitter Cuba.

«Ça me coûte 5000$ US pour envoyer un conteneur de 40 pieds là-bas dans lequel je peux seulement mettre une cinquantaine d'appareils, déplore-t-il au cours d'une entrevue téléphonique. Comment je vais pouvoir concurrencer les Américains? Selon moi, au moins 80% des Canadiens qui exportent à Cuba vont quitter dès que les États-Unis vont débarquer.»

Plutôt que d'effectuer des missions commerciales à Cuba - comme s'apprête à le faire le premier ministre Philippe Couillard ce mardi à La Havane - et d'envisager une présence permanente dans le pays, le Québec devrait offrir un bouquet de mesures aux exportateurs d'ici afin de les aider, estime l'homme d'affaires.

M. Côté dit avoir fait part de son point de vue à la ministre des Relations internationales, Christine St-Pierre, dans le cadre d'un événement organisé en avril par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) sur Cuba.

«On n'a pas besoin d'un représentant dans le pays pour nous dire avec qui faire des affaires, estime-t-il. Ça n'a aucun bon sens d'y installer un bureau qui va coûter des centaines de milliers de dollars américains annuellement. Notre problème, c'est le transport.»

Robert Ducharme, qui a vendu avec son partenaire l'agence de tourisme Sunlight Tours S.A. en décembre dernier, travaille actuellement sur un projet visant à acheminer des matériaux de construction à Cuba.

Il partage les mêmes préoccupations que M. Côté en ce qui a trait au prix à payer pour exporter vers Cuba.

«Il n'y a pas seulement les Américains qui seront difficiles à concurrencer, souligne M. Ducharme au cours d'un entretien téléphonique. Les Européens et les Chinois, par exemple, se sont déjà activés.»

En dépit des défis qui attendent les entreprises à Cuba, le président et chef de la direction de la CCMM, Michel Leblanc, se montre un peu plus optimiste que les deux entrepreneurs.

«Je ne dis pas que c'est un endroit facile pour les néophytes, explique-t-il. Mais nous sommes rarement devant une situation où un marché s'ouvre et que les besoins en investissements sont aussi importants.»

La famille Lussier, spécialisée dans les camions lourds, est généralement citée comme exemple de succès à Cuba. Par l'entremise de sa filiale Terracam, elle exploite un centre de vente de pièces à La Havane depuis près de 25 ans et envisage de croître.

Mais si l'île des Antilles est «présentement à la mode» et qu'il est «normal de voir le gouvernement s'en mêler», M. Côté prévient les entreprises intéressées qu'un investissement à Cuba est loin d'être un succès assuré, un autre point sur lequel M. Ducharme, qui fait des affaires dans ce pays depuis environ 15 ans, est d'accord.

«C'est un marché qui n'est pas stable, affirme celui qui a acheté Sunlight Tours en 2012 avec un partenaire. Les Cubains peuvent avoir une idée et changer leur fusil d'épaule un mois après. Il faut s'y rendre très souvent et cela est très dispendieux.»

Dans un contexte où il est actuellement déjà difficile de faire affaires «avec des gens qui n'ont pas l'air de savoir où ils s'en vont», Robert Ducharme s'inquiète de ce qu'il adviendra s'il y a bel et bien un boom économique à Cuba.

«C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons vendu (Sunlight)», dit-il.

Avec 11,4 millions de personnes, Cuba est un marché dont la taille se compare à l'Ontario, selon Nicolas Marcoux, associé directeur au sein du cabinet québécois PwC.

«C'est une population bien éduquée, mais par contre, elle n'est pas très fortunée», souligne-t-il.