Li Jianhua, régulateur bancaire de la Chine, s'est littéralement tué à la tâche. Après 26 années pendant lesquelles il a toujours fait passer le parti et le peuple en premier, selon une déclaration de son employeur, le cadre de 48 ans est mort alors qu'il s'efforçait de terminer un rapport avant le lever du soleil.

Chaque année, environ 600 000 Chinois meurent parce qu'ils travaillent trop, selon le quotidien China Youth Daily. De son côté, China Radio International déclarait en avril que le nombre de décès liés au surmenage s'élevait à 1600 par jour.

La hausse du taux de mortalité arrive au moment où la main-d'oeuvre en Chine semble prendre le dessus, alors que le bassin de travailleurs rétrécit, que ceux-ci sont dorénavant en mesure d'exiger des salaires plus élevés, et que les travailleurs d'usine font régulièrement la grève. Pourtant, le message ne semble pas s'être rendu jusqu'aux cols blancs.

En échange de salaires de départ équivalant habituellement au double de celui des cols bleus, les cols blancs font beaucoup d'heures supplémentaires, en plus de leurs journées de travail de huit heures, souvent en contravention de la législation chinoise en matière de travail, selon Geoffrey Crothall, porte-parole du groupe de défense des droits des travailleurs China Labour Bulletin, basé à Hong Kong.

Acharnés à la tâche

«La Chine est une économie en croissance, et les gens continuent d'adhérer à cette éthique du travailleur acharné à la tâche», selon Jeff Kingston, directeur des études asiatiques du Japan Campus de la Temple University, à Tokyo. «Ils n'ont pas encore attrapé l'affluenza qui les pousserait à remettre en question les normes et valeurs du Japon.»

C'est au Japon que le terme karoshi - ou mort par surmenage - a acquis sa notoriété au cours des précédentes décennies. Ces décès sont causés par des AVC, des crises cardiaques, des hémorragies cérébrales ou toute autre cause soudaine liée aux exigences du milieu de travail.

Parce que la relation de cause à effet entre le stress professionnel et la mort n'est pas toujours évidente, le nombre de victimes demeure subjectif et difficile à compiler.

Le Parlement du Japon a adopté le 20 juin dernier une loi demandant la création de centres de soutien, d'aide aux entreprises sous forme de programmes de prévention, et davantage de recherche sur le phénomène. En 2012, le gouvernement japonais a dédommagé 813 familles qui ont réussi à démontrer un lien entre le surmenage, la maladie et la mort. De ce nombre, 93 étaient des suicides.

En Chine, ces décès sont qualifiés de guolaosi.

«Nous avons constaté que les heures supplémentaires excessives étaient devenues un problème en Chine», a affirmé le directeur du bureau chinois de l'Organisation internationale du travail, Tim De Meyer, dans un courriel visant à répondre à des questions de Bloomberg.

L'équilibre travail/vie en prend pour son rhume dans une société qui tend vers la poursuite moderne de la richesse et dont la croyance ancienne valorise plus l'importance à la communauté qu'à l'individu, selon Yang Heqing, doyen de l'école d'économie du travail de la Capital University of Economics and Business de Pékin.

Parmi les travailleurs de Chine qu'il a sondés, 60% se plaignent de faire plus que les deux heures supplémentaires permises par la loi chaque jour, ce qui nuit à leur famille et à leur santé.

«Bien plus que dans n'importe quel système corporatif anglo-américain, en Corée, en Chine et au Japon - les pays de la ceinture confucéenne -, on croit au dévouement total», selon Jeff Kingston. «Tout emploi qui vaut l'effort vaut un effort excessif.»