L'Espagne montre des signes encourageants après plus de deux ans d'une récession brutale. Trop dépendante du secteur de la construction qui s'est effondré, la quatrième économie européenne surnage grâce à un regain de ses exportations. La reprise est-elle en vue, comme le prétend Madrid? Ou est-ce une pause dans une longue dégringolade?

Un taux de chômage catastrophique de 26%. Les prix des maisons en baisse de plus de 30%. Les jeunes qui fuient le pays par milliers...

L'Espagne continue d'écrire, avec la Grèce et le Portugal, l'un des plus sombres chapitres de la crise européenne. Mais à travers la nuée de mauvaises nouvelles, on décèle une éclaircie. La stratégie espagnole pourrait même montrer la voie d'un redressement aux autres éclopés de l'Europe.

La récession s'est en effet modérée ces derniers mois dans la quatrième économie européenne. Le produit intérieur brut (PIB) espagnol a reculé de seulement 0,1% au deuxième trimestre, révèle un dernier bilan de santé, après une baisse de 0,5% de janvier à mars et de 0,8% au dernier trimestre de 2012.

Arrêter l'hémorragie

Même sur le front de l'emploi, la saignée ralentit.

Le nombre de personnes inscrites au chômage en Espagne a baissé en juillet pour le cinquième mois consécutif, mais reste au niveau élevé de 4,7 millions, a annoncé vendredi le ministère de l'Emploi.

«La reprise est en marche», s'est félicité à la radio le secrétaire à l'Économie, Fernando Jimenez Latorre, la semaine dernière. «Nous avons laissé derrière nous le pire de la crise», a-t-il ajouté.

Hormis ce bilan tout rose visant à calmer la grogne de la population, échaudée par les scandales politiques et l'austérité budgétaire, il y a certes une réelle amélioration. Or, celle-ci tient essentiellement à la demande extérieure.

Pour la première fois depuis 1971, l'Espagne a enregistré un léger surplus commercial en mars, et ce, après que ses exportations eurent atteint un record de 223 milliards d'euros (300 milliards CAN) l'an dernier.

À défaut d'une demande intérieure viable, l'industrie mise sur les étrangers pour se remettre en marche.

Productivité et technologie

Le succès espagnol sur les marchés extérieurs repose sur la transformation qui est en cours dans le secteur privé.

On s'éloigne de plus en plus du secteur de la construction, pratiquement en ruines après avoir supprimé un million d'emplois depuis l'éclatement de la bulle immobilière en 2008. Et on se tourne vers les nouvelles technologies et les services.

Pour attirer les clients, les milieux d'affaires brandissent des gains de productivité alléchants. Au terme de réformes douloureuses, les coûts salariaux unitaires en Espagne ont en effet baissé de 5% en moyenne sur 2 ans.

De plus, les marges de profit se redressent pour les PME, qui abandonnent le dernier rang de la zone euro à ce chapitre. Leurs profits (après taxes, intérêts et dividendes), exprimés en pourcentage du PIB, ont triplé, passant de 5% à 15%, selon des données officielles.

Fiscalité avantageuse

Toujours à l'affût de belles occasions, les investisseurs internationaux débarquent de plus en plus au pays pour profiter d'une fiscalité avantageuse, notamment sur le plan des charges sociales pour les salariés, qui s'élèvent à 6,4% contre 20% en France, note le ministère de l'Économie.

L'industrie automobile est à la tête de ce mouvement. En février, l'usine de Nissan à Barcelone a reçu un investissement de 120 millions d'euros pour accroître sa capacité. Ford a cessé sa production à son usine de Genk, en Belgique, pour la déménager dans la région de Valence. Même le géant PSA Peugeot, en difficile période de rationalisation en France, a haussé sa production à son usine de Vigo (en Galice, nord-ouest du pays).

Depuis un an, un milliard d'euros a été investi dans le secteur automobile espagnol.

Dans le secteur des technologies, on note aussi des progrès. La filiale locale du géant allemand de l'informatique SAP AG a augmenté ses ventes de 38% en un an grâce à ses avancées à l'étranger. Et de nouvelles PME émergent à la faveur d'un taux de création d'entreprises parmi les plus élevés d'Europe.

Le milieu des affaires découvre aussi de nouveaux marchés. Par exemple, la société Fluidra, spécialisée dans les équipements pour piscines, a doublé ses ventes vers l'Asie en un an, selon l'agence Bloomberg, et elle ouvre des bureaux de vente à l'extérieur du pays.

Une longue côte à remonter

Reste que les experts ne sont pas convaincus que la reprise sera durable. Dans une récente étude, la Citibank prévoit «une amélioration continue [de l'économie] au troisième trimestre», mais se dit aussi «très réservée concernant les déclarations selon lesquelles la récession espagnole serait derrière nous».

L'embellie de l'emploi est en partie liée au tourisme, souligne la banque française Natixis, alors que l'Espagne profitera d'une affluence record de visiteurs cet été grâce aux soubresauts survenus en Turquie et en Égypte.

Et la liste des problèmes est longue. Outre le chômage hyperélevé, la consommation est en panne. Le secteur public a perdu 10% de ses effectifs, le niveau d'endettement du gouvernement augmente sans cesse, et les banques espagnoles croulent sous les mauvaises créances découlant du krach immobilier, rajoute le Fonds monétaire international (FMI).

Trop tôt, donc, pour faire la "fiesta", concluent les experts. Pour le moment, les Espagnols profitent essentiellement d'une pause dans une période de reconstruction qui s'annonce longue et difficile.