Jacynthe Côté a pris la direction de Rio Tinto Alcan il y a maintenant cinq ans. Son entrée en poste s'est faite au moment même où l'économie mondiale était torpillée par la pire récession des 50 dernières années. Une crise qui a forcé l'industrie de l'aluminium à se réajuster substantiellement et dont les stigmates sont encore bien présents aujourd'hui.

«On ne s'est pas encore remis du choc de 2009. La tonne d'aluminium qui se vendait à 3000$ en 2008 a chuté pour atteindre le prix plancher de 1300 , en 2009. Il nous a fallu réduire nos coûts, ce que nous réussissons à faire aujourd'hui même avec un prix de 1800$ la tonne», explique Jacynthe Côté.

En 5 ans, Rio Tinto Alcan (RTA) a réduit sa production mondiale annuelle d'aluminium de 600 000 tonnes. Cette rationalisation s'est traduite au Québec par la fermeture, en 2009, de l'usine de Beauharnois (50 000 tonnes/an), et celle de Shawinigan (100 000 tonnes/an) cessera définitivement ses activités d'ici la fin de l'année.

«On cherche à atténuer le plus possible les effets de ces rationalisations en offrant la possibilité aux travailleurs d'être relocalisés dans nos installations du Saguenay. J'ai beaucoup de reconnaissance pour l'ensemble de nos employés qui ont vécu les cinq dernières années avec courage», insiste Jacynthe Côté.

La PDG constate par ailleurs que malgré un contexte qui demeure extrêmement difficile, RTA réussit à rester profitable alors que 30% des acteurs mondiaux de l'industrie de l'aluminium fonctionnent à perte.

Un investisseur toujours actif

Jacynthe Côté rappelle aussi qu'en dépit de la conjoncture, RTA est l'entreprise du secteur de l'aluminium qui a le plus investi au cours des cinq dernières années, notamment au Québec, pour optimiser sa production et réduire ses coûts.

«À part un groupe au Moyen-Orient, Rio Tinto Alcan est le producteur qui a le plus investi dans le monde, dont 3,5 milliards à notre usine de Kitimat, en Colombie-Britannique. Au Québec, on a dépensé 1,1 milliard pour l'implantation de notre nouvelle technologie AP-60 à Arvida.

«Cette technologie de l'avenir fait d'Arvida l'usine la moins chère à exploiter en termes de tonne produite par pied d'usine et par travailleur. Une usine six fois plus productive», relève Jacynthe Côté.

La production a débuté modestement en septembre à Arvida et ira en s'accélérant à partir du mois de novembre. L'usine produira 60 000 tonnes par année et pourra atteindre un rythme de 460 000 tonnes lorsque les conditions de marché le commanderont.

À ceux qui déplorent que l'entreprise soit un acteur moins présent au Québec en tant que grand donneur d'ordres depuis son acquisition à fort prix par Rio Tinto, Jacynthe Côté répond que cette vision est erronée.

«La moitié du 1,1 milliard qu'on a investi à Arvida est allée à nos équipementiers de la région qui ont obtenu des contrats et qui nous accompagnent dans nos projets à l'étranger.

«On a des racines profondes au Québec. On poursuit notre rayonnement social avec le fonds de 200 millions que Rio Tinto a mis sur pied. On est toujours le partenaire du Festival de jazz et on finance beaucoup d'initiatives pour favoriser la réussite scolaire», précise la PDG.

Relancer le manufacturier

Jacynthe Côté a pris connaissance avec un intérêt certain de la politique économique qui a été dévoilée cette semaine par le gouvernement péquiste. Elle se dit contente de voir que les surplus d'énergie d'Hydro-Québec serviront à attirer des investissements manufacturiers.

«Le secteur manufacturier a enregistré depuis le début des années 2000 un déclin inquiétant au Québec. Quand le manufacturier tombe sous les 20% de la valeur du PIB, cela fragilise toute l'économie d'un pays. En Allemagne, ils sont toujours à 20% et leur économie s'en tire beaucoup mieux que les autres pays européens.

«Au Québec, le manufacturier comptait pour 20% du PIB en 2000. Aujourd'hui, il ne représente plus que 12%. Il faut redresser la situation, et rapidement. C'est brillant d'utiliser nos surplus d'électricité pour soutenir le secteur manufacturier», souligne Jacynthe Côté.

À cet égard, RTA souhaite elle aussi bénéficier des surplus d'Hydro-Québec pour réduire ses coûts de production. L'entreprise a déposé un mémoire pour étayer sa position à la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, qui a terminé ses audiences hier.

«Les coûts d'énergie ont tellement diminué partout dans le monde que les tarifs préférentiels dont bénéficiaient les alumineries au Québec ne sont plus concurrentiels. On se retrouve avec des prix de quatrième quartile par rapport à ceux que paient nos concurrents», expose la PDG.

Bien qu'elle soit autosuffisante à 90% pour ses besoins d'électricité au Saguenay grâce à son parc de centrales électriques, RTA est partenaire des alumineries ABI, à Bécancour, et Alouette, à Sept-Îles, et doit payer des tarifs qui ne sont plus compétitifs.

«Des producteurs américains d'aluminium qui achètent leur gaz naturel sur le marché spot paient en moyenne 25$ le kilowattheure, alors que nous, on doit payer 42$. Il faut corriger le tir», suggère Jacynthe Côté.

La PDG rappelle avec raison que l'aluminium est, en termes de valeur obtenue, le principal produit d'exportation du Québec.

Justement, le ministre des Finances, Nicolas Marceau, souhaite augmenter de façon importante la part des exportations québécoises dans le calcul du PIB. De 45,8% à 55%, selon les voeux exprimés dans sa politique économique. Une façon d'y arriver serait d'augmenter le volume des lingots d'aluminium qui traversent nos frontières...