Si le secteur manufacturier québécois a beaucoup souffert du phénomène de la délocalisation, ce n'est pas le cas de l'usine IBM de Bromont. Au contraire, l'usine qui compte 2800 employés a su s'imposer au cours des dernières années pour devenir la seule unité d'assemblage et de vérification de composantes électroniques de la multinationale de haute technologie.

Successivement, l'usine de Bromont a supplanté les sites d'assemblage d'IBM en Italie, à Singapour et en Irlande pour assurer seule aujourd'hui la production de semi-conducteurs pour tous les besoins de la multinationale, tout en réalisant l'assemblage des microprocesseurs des différentes consoles de jeux vidéo: Wii, PlayStation et autres Xbox.

«On a réussi à s'imposer pour différentes raisons. On a une bonne chaîne d'approvisionnement, on a développé une bonne gestion du risque, on a mis en place une excellente relation d'affaires avec nos clients et on fait preuve d'une très grande rapidité d'accès au marché», résume Raymond Leduc, le directeur en chef de l'usine de Bromont, en poste depuis 2003.

L'usine a été construite en 1972 pour y assembler des composants de certains types de mémoires informatiques. En 1974, Bromont a obtenu le mandat d'assemblage des machines à écrire Selectric. Les effectifs passèrent alors de 200 à 700 employés. Puis dans les années 80, l'arrivée des PC scelle le sort des machines à écrire électriques et l'usine se spécialise dans la fabrication de microcomposants électroniques.

«Depuis 1972, IBM a investi 1,6 milliard à Bromont. On produit à chaque année pour 2 milliards de valeur à l'exportation. On relève de la division du Groupe Systèmes et Technologies d'IBM qui réalise des revenus annuels de 17 milliards», souligne Raymond Leduc.

La chaîne d'innovation

Si Bromont a ainsi réussi à se distinguer c'est qu'elle a aussi profité de la renaissance de l'industrie des microprocesseurs dans le Nord-Est américain.

«Avec les usines de FishKill (État de New York), de Burlington (Vermont) et le centre de recherche IBM à Albany, on forme un corridor qui totalise 33 000 employés dans le secteur des microprocesseurs. On a une masse critique capable de concurrencer l'Asie et Taïwan en particulier», précise Raymond Leduc.

Mais les succès de Bromont s'expliquent surtout par le fait qu'on y applique de façon systématique l'approche d'IBM en matière d'innovation.

«La chaîne d'innovation est devenue plus importante que la chaîne d'approvisionnement. Il faut que tous les employés soient mobilisés et participent à l'innovation. Chez nous, on le fait de deux façon: dans l'amélioration au quotidien et en appliquant l'innovation de rupture», expose Raymond Leduc.

En visitant l'usine, on croise effectivement dans le détour d'un corridor un groupe d'employés en discussion active. Ils sont en plein processus d'amélioration au quotidien.

«C'est un processus de gestion des compétences. On capture toutes les bonnes idées sur le plancher et on les implante le plus rapidement possible. Chaque employé dispose d'un carton jaune et d'un carton bleu sur lesquels il note les situations problématiques ou irritantes. Le lendemain, le groupe en discute et apporte les correctifs», explique le directeur en chef.

Depuis le début de 2011, plus de 800 améliorations ont été réalisées à Bromont. Certaines innovations très pratiques ont même été brevetées et implantées chez des clients.«Comme directeur de l'usine, je ne suis pas un pilote de F-1. Je suis le chef d'écurie, les gens sur le plancher sont les pilotes, ce sont eux qui gèrent l'équipement et qui peuvent améliorer la production.»

L'innovation de rupture

Parallèlement à ces innovations quotidiennes, issues du plancher de l'usine, l'équipe de direction se rassemble en début d'année, durant une semaine complète, pour établir la liste d'une quinzaine d'objectifs qu'il faudra réaliser dans les 12 prochains mois.

«C'est l'innovation de rupture. On fixe nos priorités et on aligne toutes nos équipes, nos clients et même la direction d'IBM pour leur expliquer où on s'en va. C'est fondamental», soulève M. Leduc.

Cet exercice a permis notamment à l'usine de Bromont de rendre nulle à son bilan les effets de la hausse du dollar canadien. «Il fallait arriver à rendre neutre l'effet de devise. On y est arrivé», dit-il.

«À chaque année, on doit améliorer de 10% notre performance globale. On a aussi décidé de réduire de 40 à 50% le temps de cycle de production de nos produits, ce qui permet de répondre rapidement aux besoins changeants de nos clients», ajoute Raymond Leduc.

Il y a trois ans, on a décidé de réduire de 20% la consommation d'énergie de l'usine. L'an dernier, on a réduit de 12% la consommation d'eau et il faudra en 2012 arriver à la réduire d'un 50% additionnel. On a fixé à 94% le taux de recyclage des déchets de l'usine. L'an prochain il faudra arriver à 100%...

«Tous ces changements exigent la mobilisation de tous nos employés autours de l'innovation et c'est pourquoi on veut qu'ils s'impliquent.

«Le développement d'une personne est plus important que le développement d'un produit, parce qu'une personne épanouie va développer un meilleur produit», insiste Raymond Leduc.

C'est pourquoi à l'usine de Bromont, on a mis sur pied le programme 3 par 10. On suggère fortement aux employés de changer au moins trois fois de poste en 10 ans, pour qu'ils développement leurs compétences, qu'ils apportent du sang neuf aux équipes et qu'ils se dépassent comme individus. Un programme qui produit visiblement de bons résultats.

La décision stratégique

L'usine IBM de Bromont a démontré au fil des ans qu'elle a acquis un niveau d'excellence manufacturière indéniable. Raymond Leduc a voulu pousser plus loin l'expérience et offrir des services de valeurs ajoutés à ses clients.

«La décision la plus marquante que j'ai prise, ç'a été de nous ouvrir davantage aux besoins futurs de nos clients et de devenir un partenaire de premier plan dans le développement de leurs produits.

«Depuis quelques années, on développe des processus d'affaires pour mieux anticiper leurs solutions futures. On fait partie de leur chaîne de valeur. On leur fait profiter de la compétence de nos gens», observe-t-il.