La mise en faillite de Detroit, joyau déchu de l'industrie automobile américaine, est l'occasion de «remettre la ville sur les rails», ont assuré vendredi les autorités du Michigan face aux inquiétudes d'une partie des habitants de voir leurs indemnités de retraite coupées.

L'ancien berceau de l'automobile triomphante du début du XXe siècle est devenu jeudi la plus grande ville américaine à se déclarer en faillite - dernier acte en date de la lente agonie de «Motor City».

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Cette ville industrielle du nord des États-Unis a accumulé une dette vertigineuse de 18,5 milliards de dollars. À tel point que la municipalité n'est plus en mesure d'assurer l'éclairage public dans de nombreux quartiers et que seul un tiers des ambulances fonctionnent, faute de moyens pour les entretenir.

Le gouverneur de l'État du Michigan, Rick Snyder, a défendu vendredi cette décision de mise en faillite, soulignant qu'il n'y avait pas d'autres options «viables» vu que la ville était «fauchée».

M. Snyder a néanmoins tenté d'apaiser les inquiétudes des habitants. «Nous voulons rassurer les citoyens de Detroit: tout va continuer à fonctionner normalement», a-t-il lancé lors d'une conférence de presse.

«Le moment est venu de remettre Detroit sur les rails. Réglons le problème de la dette. Réglons le problème des services publics», a-t-il insisté, assurant: «nous avons l'occasion de mettre fin à 60 ans de déclin. Nous allons revenir avec une ville plus forte et meilleure».

Avec ses gratte-ciels désertés dans le centre, ses usines en ruine et ses maisons délaissées, Detroit offre aujourd'hui un paysage de désolation.

Le lent déclin économique et financier de la ville est allé de pair avec une déchéance sociale qui s'illustre dans l'exode de ses habitants - Detroit a perdu la moitié de sa population en 60 ans, passant de 1,8 million d'âmes en 1950 à 700 000. Et plus d'un quart de sa population, à 80% noire, vit désormais sous le seuil de pauvreté.

Craintes pour les indemnités de retraite

Le taux de criminalité n'a en outre jamais été aussi élevé en 40 ans et la police met en moyenne 58 minutes pour arriver lorsqu'elle est appelée, contre 11 minutes au niveau national.

«Nous sommes arrivés à un point où l'on ne peut plus continuer à repousser éternellement le problème», a déclaré vendredi, aux côtés du gouverneur, Kevyn Orr, expert responsable de la gestion des crises. Ce dernier avait été mandaté par Rick Snyder pour sortir de l'ornière.

Avec la mise en faillite de Detroit, les municipalités du Michigan et, par ricochet, d'autres États du pays risquent d'avoir des difficultés à emprunter de l'argent, faute de confiance des prêteurs.

L'évolution de la situation est suivie de près par les employés de la ville qui craignent de voir leurs indemnités de retraites coupées. Sur les plus de 18 milliards de dette, neuf milliards sont en effet dus à des fonds de retraite. Detroit compte 10 000 employés et 20 000 retraités.

Si ces indemnités sont protégées par la Constitution de l'État, la procédure de mise en faillite de Detroit risque de réduire drastiquement les prestations.

Kevyn Orr a précisé que la ville disposait de 2 milliards de dollars pour rembourser 12 milliards de dette «non garantie», y compris ces prestations de retraite.

«Oui, il y a 10 000 employés. Oui, il y a 20 000 retraités. Mais il y a aussi 700 000 citoyens qui ne méritent pas d'attendre 58 minutes avant que la police arrive», a-t-il martelé devant les journalistes.

«Est-ce que c'est normal de voir des arbres vieux de 40 ans pousser à travers les toits délabrés de maisons en ruine? Est-ce que c'est normal de voir les enfants marcher dans des rues non éclairées en rentrant de l'école?», a-t-il insisté.

Mais le président du principal syndicat des travailleurs publics du pays AFSCME, Lee Saunders, a reproché à Rick Snyder et Kevyn Orr d'avoir refusé de négocier une autre approche. «Les employés du secteur public de Detroit travaillent dur et respectent les règles et, à présent, leur droit à prendre leur retraite dans la dignité est mis en danger», a-t-il dénoncé.

Prochaine étape: un juge devra dire si Detroit peut se placer sous la protection de la loi sur les faillites qui lui permet de renégocier sa dette.

Le «chapter 9», une procédure de faillite réservée aux municipalités

La ville de Detroit a eu recours à une disposition particulière du droit des faillites américain, dite «chapter 9»: réservée aux municipalités, elle limite davantage les pouvoirs du juge que la procédure utilisée pour les entreprises («chapter 11»).

Les garde-fous visent à garantir les pouvoirs souverains, garantis par la constitution, des municipalités et de leurs représentants élus. Contrairement à une entreprise, une municipalité ne pourra pas non plus être liquidée.

La première étape, franchie par Detroit cette semaine, est le dépôt d'une demande de mise sous la protection de la loi sur les faillites.

Un juge dira d'ici quelques semaines s'il l'accepte d'ouvrir formellement la procédure de faillite, en évaluant notamment si la demande est «de bonne foi». Dans l'intervalle, des objections peuvent lui être soumises, par certains créanciers par exemple.

Une fois ce feu vert obtenu, la municipalité peut suspendre le remboursement de ses dettes et le paiement des intérêts associés, hormis pour certains emprunts assortis de garanties spécifiques au moment de leur émission.

Elle doit parallèlement soumettre un plan de restructuration de sa dette, qui prévoira par exemple d'en allonger la durée, de réduire les taux d'intérêt, voire d'en annuler un certain pourcentage de manière généralisée pour tous les créanciers.

Le juge ne peut qu'accepter ou rejeter ce plan. Il évalue pour cela s'il est réalisable, dans l'intérêt des créanciers, ou si la municipalité fait des efforts raisonnables (hausse d'impôts, réductions de dépenses...).

Il ne peut pas imposer de modifications comme dans le cas d'une entreprise. L'influence des créanciers est également plus limitée.

Contrairement à une entreprise ou un individu en faillite, il n'y aura pas non plus d'administrateur judiciaire pour contrôler la gestion des affaires municipales: pendant toute la procédure, la municipalité peut utiliser à sa guise ses actifs, gérer les impôts ou faire des dépenses, embaucher, voire contracter de nouvelles dettes.

Depuis sa rédaction pendant la Grande Dépression des années 1930, le «chapter 9» a été relativement peu utilisé, moins de 700 fois. Faute de jurisprudence suffisante, certaines implications restent incertaines, tout particulièrement pour les salaires des fonctionnaires et leurs retraites.

Le «chapter 9» ouvre la porte à des coupes en permettant de rejeter des conventions collectives et les plans accordant certains avantages aux retraités sans suivre la procédure normale. Cela peut toutefois contredire la législation de certains États.

Les municipalités concernées jusqu'ici ont opté pour différentes approches. Certaines ont réduit ou cessé leurs paiements aux fonds de pension ou aux assurances-santé, d'autres les ont protégés. Des recours judiciaires, par des fonds de pension ou d'autres créanciers s'estimant lésés, courent toujours. La question ne sera définitivement tranchée que si elle arrive un jour devant la Cour suprême.