Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer la crise. Au banc des accusés se trouve notamment une petite règle comptable, pourtant bien légitime, qui vient gonfler les pertes des entreprises. La solution? Abolir la règle.

Voilà essentiellement ce que vient de faire le Conseil financier des normes comptables (FASB) en permettant aux entreprises de ne plus évaluer certains actifs à leur juste valeur marchande (mark-to-market).

 

Le FASB est le grand manitou des règles comptables aux États-Unis, celui qui dicte aux comptables comment calculer les profits et pertes.

Il y a deux ans, le FASB a établi de nouvelles règles, suivies d'ailleurs par son homologue canadien, l'Institut canadien des comptables agréés (ICCA).

Il a fallu 15 ans d'analyses pour accoucher de ces normes, qui touchaient notamment la question de la juste valeur marchande.

Hier, après seulement quelques mois de discussions, tout a changé aux États-Unis. La raison?

C'est qu'avec la crise, les marchés ont dégringolé et l'obligation pour les entreprises de comptabiliser leurs actifs à la juste valeur aurait provoqué d'énormes pertes.

Le changement du FASB fait suite aux énormes pressions du Congrès américain et précède la publication prochaine des résultats des grandes banques américaines.

Qu'en est-il au juste?

Grosso modo, les nouvelles règles stipulent que les prix observés actuellement sur le marché ne sont pas représentatifs de la réalité. Conséquemment, le FASB accepte que les banques et autres entreprises évaluent plutôt leurs actifs en fonction des revenus futurs qu'ils prévoient en tirer.

Dans le jargon, les comptables parlent des flux monétaires actualisés.

L'exemple des hypothèques

Prenons l'exemple des hypothèques aux États-Unis. Comme chacun sait, la valeur des maisons au pays de l'Oncle Sam a chuté brusquement.

Dans un cas sur six, la valeur des maisons est même inférieure à l'hypothèque. Parfois, le propriétaire remet les clés à la banque, mais souvent, il continue de payer dans l'espoir d'une hausse éventuelle.

Dans leurs livres, les banques détiennent ce qui peut s'apparenter à des fonds communs d'hypothèques. Depuis le début de la crise, les parts de leurs fonds communs ont fondu, comme ceux de M. et Mme Tout-le-Monde.

Mercredi, avant la modification des normes, les banques devaient inscrire ces moins-values dans leurs résultats. Depuis hier, ce n'est plus le cas.

En fait, l'inscription d'une perte ou plutôt l'importance de la perte sera laissée à la discrétion de la direction des entreprises, qui devront cependant trouver un terrain d'entente avec leurs vérificateurs comptables externes indépendants.

Leurs discussions porteront sur la valeur qu'il faudra attribuer aux revenus futurs de leurs titres financiers, comme leurs fonds communs d'hypothèques.

Les propriétaires de maison continueront-ils de payer leurs hypothèques? Pendant combien de temps? Combien de proprios tomberont en chômage et seront en défaut de payer? Bref, des discussions corsées en vue.

«On change les règles d'un coup de balai, c'est dangereux. On prétend que ce sont les règles comptables qui posent problème, mais ce n'est pas vrai. L'application des règles ne fait que refléter les conséquences des décisions qui ont été prises et de l'état du marché», dit Diane Paul, professeur de comptabilité à HEC Montréal.

Il ne s'agit pas du premier changement depuis le début de la crise. En octobre dernier, le FASB, l'ICCA et leur pendant international avaient accepté que les entreprises, exceptionnellement, reclassent certains actifs pour ne plus les évaluer selon leur juste valeur.

Cette fois, on va beaucoup plus loin. Et le Canada risque de ne pas embarquer dans le train. Le 26 mars, l'ICCA s'est en effet opposé à de telles nouvelles normes pour les entreprises canadiennes.

Le changement américain n'est pas sans conséquence. Il embellira le bilan des banques, améliorera leur ratio de capital et, qui sait, pourrait permettre aux dirigeants d'obtenir de meilleurs salaires. En attendant, le marché boursier est content.

Hier, l'indice américain S&P 500 a bondi de 2,9% et le TSX de Toronto, de 1,5%.