Inquiet des bouleversements au sein de l'industrie, l'Ordre des pharmaciens veut encadrer de plus près les pratiques commerciales de ses membres. Une initiative qui inquiète les pharmaciens propriétaires.

Au début de l'an prochain, l'Ordre enverra aux quelque 1900 pharmaciens propriétaires du Québec un questionnaire auquel ils seront obligés de répondre. On leur demandera notamment de décrire leurs relations d'affaires avec les fabricants de médicaments, les grossistes, les médecins, les assureurs et les résidences pour personnes âgées.

L'objectif est de dresser un portrait complet des pratiques commerciales des pharmaciens et des «enjeux éthiques» auxquels ils sont confrontés. L'Ordre compte ensuite rédiger des standards de pratiques commerciales sur le modèle des standards de pratiques professionnelles adoptés en 2010.

Au fil des ans, plusieurs situations problématiques ont fait surface devant le conseil de discipline de l'Ordre et dans les médias: cartes de fidélité des fabricants de médicaments, loyers de faveur, partage d'honoraires...

«Il y a eu plusieurs mouvements chez les grands joueurs, note la directrice générale de l'Ordre, Manon Lambert, au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse Affaires. Dans ces mouvements-là, est-ce que les pharmaciens continuent d'être indépendants? Est-ce que les pressions de l'extérieur sont indues?»

Depuis quelques années, les frontières tombent dans l'industrie : la chaîne Jean Coutu a acheté le fabricant de médicaments génériques Pro Doc, le grossiste américain McKesson a mis la main sur le réseau de pharmacies Proxim et le géant de l'alimentation Loblaws a acquis Shoppers Drug Mart/Pharmaprix. Or, selon les règles québécoises, les pharmacies doivent appartenir aux pharmaciens eux-mêmes, pas à des détaillants. Et les chaînes ne peuvent pas dicter aux pharmaciens où acheter leurs médicaments ni toucher une partie de leurs honoraires professionnels.

Un éthicien assistera l'Ordre dans cet exercice délicat. «Il va chercher à établir l'écart entre les valeurs professionnelles souhaitées et celles qui ont actuellement cours sur le terrain», explique Mme Lambert.

«L'idée, c'est vraiment d'amener tout le monde à réfléchir, ajoute-t-elle. Quand on a un réflexe éthique, on ne s'embarque généralement pas dans des affaires qui sont problématiques.»

Craintes chez les pharmaciens

Normand Cadieux, directeur général de l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires, se montre sceptique devant cette offensive de l'Ordre.

«Pour les ordres professionnels, les relations commerciales sont un sujet tabou, soutient-il. Alors quand ils se mettent le nez là-dedans, ils arrivent parfois avec une réglementation démesurée.»

L'AQPP craint que les futurs standards servent à punir indûment des pharmaciens lors des inspections professionnelles.

«On ne peut pas être contre la vertu, mais c'est la façon d'appliquer ça par après qui nous préoccupe, dit M. Cadieux. L'Ordre a parfois tendance à être un peu rigide là-dessus.»

L'Ordre et l'AQPP s'entendent toutefois sur une chose: les facultés de pharmacie devraient songer à bonifier la formation sur le fonctionnement de l'industrie pharmaceutique. «On voit souvent des jeunes pharmaciens devenir propriétaires après deux ans de pratique, raconte Manon Lambert. Ils se font approcher par des gens qui leur disent: «On a fait valider ça par nos avocats, c'est légal, il n'y a pas de problème à signer ça», et quelques années plus tard, ils se retrouvent devant le syndic parce que le contrat était problématique.»