Tiendra, tiendra pas?

Malgré les tensions financières et la tiédeur économique qui persistent, l'année 2012 s'annonce encore fertile en fusions et en acquisitions d'entreprises (F&A).

En fait, les spécialistes de ce secteur anticipent la continuité de l'année 2011, qui a été la plus active depuis quatre ans au Canada et au Québec.

Le sommet précédent a été atteint avant la grave crise financière de l'automne 2008 ainsi que la chute boursière et la récession qui ont suivi en 2009.

«Le milieu des F&A au Canada a dû composer en 2011 avec une nouvelle réalité qui pourrait durer quelques années, c'est-à-dire la coexistence d'une forte volatilité en Bourse et d'un volume de transactions plus élevé qu'on s'attendait dans un tel contexte», résume François Tellier, associé et directeur des services de F&A au Québec pour la firme comptable Ernst&Young.

Chez la firme concurrente PricewaterhouseCoopers (PwC), l'associé Nicolas Marcoux - qui dirige les services de F&A pour le Québec - fait aussi état d'un constat positif pour 2011 et entrevoit de bonnes perspectives pour la prochaine année.

«C'est sûr qu'on souhaiterait plus de stabilité sur les marchés boursiers et financiers parce qu'ils sont habituellement intimement liés au secteur des F&A d'entreprises. Malgré ce contexte, nous avons eu une excellente année en 2011 et les perspectives sont encore bonnes pour l'an prochain», a indiqué M. Marcoux.

Année active

Selon les données compilées par Crosbie&Co, une société torontoise spécialisée en financement de F&A, l'année 2011 se terminera avec près de 1100 transactions concernant des entreprises canadiennes.

La valeur totale de ces transactions effectuées au Canada et à l'étranger pourrait approcher les 160 milliards.

Au niveau provincial, dont le Québec, les données sur les activités de F&A sont un peu moins précises. Néanmoins, la plus récente analyse trimestrielle effectuée par la firme PwC laissait entrevoir une «année forte au Québec» en 2011.

Selon PricewaterhouseCoopers, une poussée des transactions dans le secteur des ressources naturelles au Québec explique le doublement presque de la valeur totale des acquisitions d'actifs d'affaires en 2011, par rapport à l'an dernier.

Il faut dire que l'achat pour 4,9 milliards en début d'année de la société minière Consolidated Thompson, dirigée de Montréal, a singulièrement gonflé le bilan des F&A au Québec en 2011.

Par ailleurs, des sociétés financières très influentes au Québec dans leur créneau respectif, comme la Banque Nationale et l'assureur Intact/Bélair, ont investi plus de trois milliards en prises de contrôle et en achats d'actifs au Québec et ailleurs au Canada.

À ce titre, l'analyse intérimaire en fin d'année effectuée par la firme PwC signale deux particularités du marché des F&A au Québec par rapport à l'ensemble canadien.

D'une part, les trois quarts des acquisitions d'actifs concernant des entreprises québécoises ont eu lieu à l'extérieur du Canada, ce qui est de loin la proportion la plus élevée parmi toutes les provinces.

«Les acquéreurs d'affaires du Québec démontrent qu'ils sont très confortables avec des projets d'insertion dans des marchés à l'étranger», lit-on dans le billet de PwC.

D'autre part, à la différence de l'Ontario qui domine les relevés de F&A au Canada, il y a maintenant au Québec plus de vendeurs que d'acheteurs d'actifs d'affaires.

C'est pourquoi, selon l'analyse de PwC, la part du Québec du marché des acquisitions d'entreprises au Canada s'est atrophiée depuis quelques années.

Et pour 2012?

Pour 2012, quels facteurs motivent l'optimisme des spécialistes en F&A malgré la conjoncture embrouillée?

Ironiquement, ils citent d'abord des éléments favorables provenant de la conjoncture financière.

D'une part, depuis la grave crise de 2008, la plupart des entreprises ont fait des efforts particuliers pour renforcer leurs bilans.

En abaissant leurs taux d'endettement, et avec la faiblesse des taux d'intérêt, les entreprises ont retrouvé des moyens importants pour acheter des actifs afin d'alimenter leur croissance.

D'autre part, avec la force du dollar canadien, les entreprises canadiennes et québécoises ont rehaussé leur pouvoir d'achat à l'étranger comme rarement auparavant.

«Les entreprises d'ici diversifient leurs acquisitions à l'extérieur du Canada, en particulier vers les pays en émergence économique. C'est un bon moyen d'augmenter ses affaires hors des marchés habituels aux États-Unis et en Europe, qui risquent de stagner pendant un certain temps», souligne Nicolas Marcoux, de PwC.

En contrepartie de cette tendance, un nombre croissant d'entreprises provenant des économies émergentes s'immiscent aussi dans le circuit international des F&A.

Au Canada, ces capitaux continuent d'immigrer surtout dans le secteur des ressources naturelles: pétrole et gaz dans l'Ouest, mines et métaux au Québec et en Ontario, produits forestiers sur la côte Ouest.

Capitaux privés

Parmi les autres facteurs favorables aux F&A, les spécialistes soulignent le retour en scène des firmes d'investissement en capitaux privés, les «private equity» dans le jargon financier anglophone.

Ces investisseurs dits plus «stratégiques» ressortent d'une pause forcée après la crise financière et boursière d'il y a trois ans.

«Ces gestionnaires de capitaux privés cherchent à investir davantage lors des bas de cycles de l'économie. Or, ils sont revenus en 2011 et devraient demeurer très actifs au cours des prochains trimestres», indique François Tellier, d'Ernst&Young.

En plus, des gestionnaires de grosses caisses de retraite comme Teachers et Omers en Ontario ainsi que la Caisse de dépôt et placement du Québec interviennent davantage comme investisseurs privés dans des projets de F&A d'entreprises.

En 2011, la valeur totale des transactions de capitaux privés au Canada seulement s'annonce à près de 10 milliards, presque le double de l'année précédente.

Par ailleurs, les spécialistes en F&A signalent qu'une partie des interventions des capitaux privés ont lieu dans un domaine qui demeure souvent sous le radar de l'actualité économique.

Il s'agit des transactions de successions d'entreprise, surtout des PME à capital fermé.

Un cycle de changement de génération de dirigeants est en cours dans cet important secteur de l'économie, particulièrement au Québec.

«Ce marché est bon pour les vendeurs, mais ces transactions sont parfois compliquées et longues à conclure. Il y a encore beaucoup d'entrepreneurs qui sont mal préparés à une transaction impliquant leur entreprise», note François Tellier, d'Ernst & Young.