La Réserve fédérale américaine a franchi hier le Rubicon monétaire. Elle s'engage à imprimer jusqu'à 600 milliards d'ici juin pour acheter de la dette publique, dans le but de faire barrage aux pressions déflationnistes et de stimuler la croissance et l'emploi.

Ce faisant, elle navigue dans des eaux méconnues puisque cette détente monétaire quantitative survient non pas durant une crise de liquidités ou de crédit, mais après plus d'un an de reprise économique.

C'est «pour promouvoir une reprise plus dynamique et s'assurer que l'inflation soit, à terme, à des niveaux conformes à son mandat» que le Comité de politique monétaire de la Fed compte acheter pour 600 milliards d'obligations fédérales (Treasuries) de longue échéance, d'ici la fin du deuxième trimestre 2011, lit-on dans le communiqué faisant part de cette décision. C'est un rythme mensuel d'environ 75 milliards.

La Fed précise aussi qu'elle poursuivra la réallocation de l'argent des titres adossés à des actifs hypothécaires venus à échéance au rachat de Treasuries. Cela portera donc à quelque 110 milliards par mois et à de 800 à 900 milliards en tout la monétisation de la dette américaine, selon les calculs de la Réserve fédérale de New York.

«Avec un déficit projeté de 1066 milliards pour l'année fiscale qui prend fin en septembre 2011, ce qui équivaut à 710 millions de nouvelle dette pour les huit prochains mois, bienvenue dans le monde de sa monétisation», ironise Michael Gregory, économiste principal, chez BMO marchés des capitaux.

Et ce n'est peut-être pas le fin mot de l'histoire. «Le Comité examinera régulièrement le rythme de ses achats et la taille de son programme à la lumière de l'actualité et ajustera son programme, si nécessaire, pour consolider au maximum l'emploi et la stabilité des prix.»

La réactivation de la planche à billets s'ajoute à l'engagement de conserver le taux cible de financement à un jour (les Fed Funds) dans la fourchette de 0 à 0,25% mise en place en décembre 2008 «pour une période étendue».

Ces mesures étaient fort attendues sur les marchés boursiers, obligataires et monétaires qui les ont bien reçues en général, sauf pour les négociants d'obligations à très long terme. La Fed entend concentrer moins de 10% de ses achats dans les échéances de plus de 10 ans ce qui a poussé à la hausse leurs rendements.

Sans surprise, le billet vert a aussi faibli. «La plupart des pays industrialisés, y compris les États-Unis, veulent une monnaie plus faible, souligne Sébastien Lavoie, économiste en chef adjoint chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Voilà pourquoi les investisseurs doivent surveiller la réplique des banques centrales d'Europe, d'Angleterre et du Japon d'ici la fin de la semaine pour voir si elles vont contre-attaquer la Fed en imprimant encore plus d'argent.»

La Fed doit à la fois assurer la stabilité des prix et maximiser l'emploi. Cela signifie un taux annuel d'inflation aux environs de 1,7% à 2,0% (l'indice des prix à la consommation moins les aliments et l'énergie évolue à moins de 1% depuis plusieurs mois) et un taux de chômage plus près de 5,5% (Il n'est pas passé sous les 9,5% depuis 14 mois).

«La Fed joue les funambules, souligne James Marple, économiste principal chez Groupe financier Banque TD. Elle doit en même temps faire passer le message d'une faiblesse économique prolongée qui justifie de faibles taux à court terme pour une durée prolongée, et celui qu'une nouvelle détente quantitative parviendra à stimuler la croissance.»

Ce n'est pas un pari gagné.

Pour la septième fois d'affilée, le président de la Fed de Kansas City, Thomas Hoenig a d'ailleurs exprimé sa dissidence. À ses yeux, lit-on dans le communiqué, les risques associés à des achats additionnels de Treasuries sont plus importants que les bénéfices qu'on pourra en tirer. «Ce degré persistant d'accommodement monétaire élevé augmente les risques de déséquilibres financiers futurs et, par la suite, les attentes d'inflation à long terme susceptibles de déstabiliser l'économie».