L'heure est à la prudence à Québec. Le gouvernement provincial dépose jeudi un budget où l'équilibre des finances publiques ne tient qu'à un fil et où il faut oublier tant les baisses d'impôt que des changements aux taxes de vente.

L'heure est à la prudence à Québec. Le gouvernement provincial dépose jeudi un budget où l'équilibre des finances publiques ne tient qu'à un fil et où il faut oublier tant les baisses d'impôt que des changements aux taxes de vente.

En effet, les prévisions du gouvernement Charest tablent sur un déficit de 1,37 G$ avant de rééquilibrer le bateau en pigeant une somme équivalente dans une réserve budgétaire.

Cette réserve de 1,8 G$ a été accumulée ces dernières années à même les ventes d'électricité d'Hydro-Québec, une vente d'actifs de la société d'État au Chili et à même des transferts fédéraux en croissance. La réserve aidera Québec à joindre les deux bouts lors des deux prochaines années.

Une nouveauté importante apparaît au tableau: Hydro-Québec devra donner davantage d'argent au gouvernement pour alléger la pression sur les finances publiques. Jusqu'ici, l'investissement gouvernemental dans la société d'État a fait croître la dette. Les trois quarts des profits d'Hydro seront dorénavant versés en dividendes, contre la moitié auparavant. Ainsi, la province espère rafler 640 M$ de revenus additionnels en 2007-08 et 600 M$ en 2008. Avec cette mesure, Québec éviterait de gonfler sa dette de 11 G$ d'ici 2026. La société d'État devra toutefois emprunter davantage pour se financer.

«La solidité financière d'Hydro-Québec permet cette révision de la politique de versement du dividende sans compromettre ses capacités de développement, indique la ministre des Finances Monique Jérôme-Forget dans son discours à l'Assemblée nationale. L'hydroélectricité, c'est notre or bleu. Nous devons valoriser cet important actif dont la valeur économique dépasse largement la valeur comptable inscrite aux comptes publics.»

Bonne nouvelle du côté de la dette collective: elle a diminué de 241 M$ en raison de la vigueur du dollar canadien. Par contre, la dette calculée pour les fins de la loi portant sur sa réduction s'élève à 124,5 G$, soit 41,6% du produit intérieur brut de la province. Québec l'évaluait à plus de 50% de l'économie en 1998 et tente faire baisser ce pourcentage à 25% d'ici 2026.

Au total, les dépenses de programmes d'environ 63,9 G$ représentent 18,4% de l'économie pour l'exercice financier couvert par ce budget.

Les prévisions économiques de la ministre se veulent très prudentes. Québec s'attend à une croissance de 1,5% en 2008, contre 2,4% l'an dernier. L'inflation pancanadienne se situerait à 1,5% cette année, les dépenses des ménages devant grandir moins vite qu'auparavant.

«L'économie américaine connaît des difficultés, dit Mme Jérôme-Forget pour justifier ses prévisions. Certains parlent même de récession. Or, le Québec n'est pas étanche au contexte économique nord-américain. Pas moins de 75% de nos exportations internationales prennent la route des États-Unis. Toutefois, les gestes posés par notre gouvernement devraient permettre au Québec d'éviter une récession.»

«Les baisses d'impôt d'un milliard de dollars entrées en vigueur le 1er janvier dernier, enchaîne-t-elle, combinées aux investissements massifs dans les infrastructures et le développement énergétique, ont pour effet de soutenir notre activité économique.»

Priorité à la santé et à la famille

Du côté des nouvelles dépenses, le gouvernement accorde la priorité à ses «grandes missions». La Santé voit son enveloppe augmenter de 5,5% à 25,5 G$. À elle seule, elle occupe 44,7% des dépenses de programmes en 2008-09. Le budget de l'Éducation est bonifié de 4,6%. La famille et les aînés obtiennent une hausse de 5,5%. Ensemble, ces secteurs raflent 88% de l'argent neuf avec 2,3 G$. Les autres portefeuilles des ministères voient leurs dépenses monter de 0,3% en moyenne.

Les dépenses en santé doivent couvrir l'augmentation des salaires, l'équité salariale et la variation des contributions des employeurs aux régimes de retraite. Aussi, les coûts liés au vieillissement de la population, les nouveaux équipements et le coût croissant des médicaments sont calculés dans les montants.

Qu'en est-il de la famille ? Québec créera 18 000 places additionnelles sur cinq ans dans les garderies, après en avoir annoncé 2000 en juillet 2007. Cela portera la taille du réseau à 220 000 places.

Ne voulant pas laisser dans l'inégalité les familles qui n'ont pas recours aux garderies à 7 $, la ministre fera monter le crédit d'impôt remboursable pour les frais de garde. Les familles ayant des revenus de 100 000 $ et moins en bénéficieront. Par exemple, le crédit s'élèvera à 60% des frais admissibles pour un revenu de 46 755 $ à 82 100 $.

Constatant le vieillissement de la population, la ministre Jérôme-Forget débloque presque 1 G$ sur cinq ans pour les aînés. Elle augmente et simplifie le crédit d'impôt pour le maintien à domicile d'une personne âgée, le taux passant de 25% à 30% ou un maximum de 4680 $ par année. Cette mesure coûtera 35 M$ par année et procurera un gain moyen de 114 $ à 310 000 personnes. De plus, un crédit de 30% pour un maximum de 5200 $ par année est accordé aux aidants naturels qui trouvent une aide de remplacement.

Les Chagnon et la taxe sur le tabac au secours des enfants

Voyant dans le rétroviseur la dure situation des enfants de 5 ans et moins en milieu défavorisé, Québec s'allie à la Fondation Lucie et André Chagnon (anciens propriétaires de Vidéotron). Ensemble, ils créent un fonds de développement et de lutte au décrochage de 400 M$ sur 10 ans. Québec y versera 15 M$ par année à partir des taxes sur le tabac, contre 25 M$ donné par les Chagnon.

«Ce fonds financera des initiatives visant à favoriser le développement global des enfants, dit la ministre, tant sur le plan physique que sur les plans psychologique, cognitif et moteur, afin de mieux les préparer à la scolarisation.»

Un autre fonds créé conjointement, de 200 M$ sur 10 ans, vise le développement de services auprès des aidants naturels.

Cherchant à renflouer les coffres des universités qui augmentent sans cesse leurs frais afférents afin de boucher les trous, Québec leur alloue 250 M$ sur cinq ans. C'était un engagement déjà pris par le gouvernement. L'enseignement supérieur devrait recevoir un total de 1 G$ d'ici 2012 afin de renforcer la capacité d'enseignement et la recherche, avec l'espoir de faire rayonner le Québec sur la scène internationale.

Du côté de la formation professionnelle, le budget comprend 150 M$ de nouvelles dépenses sur cinq ans, visant à resserrer les liens entre les entreprises et les centres de formation.

«D'ici 2011, le Québec devra combler 700 000 emplois, indique la ministre Jérôme-Forget. Dans toutes les régions, on voit des affiches sur lesquelles on lit : "Nous embauchons." Nous manquons d'ingénieurs, d'infirmières et aussi de soudeurs, d'électriciens et de techniciens.»

Toujours dans le monde du travail, Québec accélère le pas en matière de transition de l'aide sociale vers le travail. Le budget prévoit un supplément à la Prime au travail, créée par le ministre des Finances Yves Séguin en 2005. La prime est bonifiée de 200 $ par mois, ce qui ajoute 3,32 $ l'heure au revenu d'un travailleur effectuant 25 heures par semaine au salaire minimum. Des conjoints peuvent obtenir leur supplément de façon égale. La prime englobera aussi les personnes touchées par des contraintes sévères à l'emploi.

S'adressant tant aux travailleurs, aux chômeurs qu'aux assistés sociaux, le gouvernement investit 196 M$ sur cinq ans dans un Pacte pour l'emploi qui sera annoncé prochainement. Cet argent doit notamment servir à faire sauter les obstacles à l'embauche d'immigrants.

«Le Pacte pour l'emploi se donne des cibles précises: réduire de 50 000 le nombre de prestataires de l'aide sociale et offrir une formation à 250 000 travailleurs de plus, dit Mme Jérôme-Forget. Aussi, plus de 4800 entreprises pourront bénéficier d'un accompagnement accru pour la formation de leurs travailleurs.»

Parlant d'immigration, le budget prévoit une augmentation de 20% des sommes qui y sont consacrées afin de favoriser l'intégration et la francisation. Et parlant d'embauche, Québec hausse le crédit d'impôt sur les salaires de stagiaires immigrants ou handicapés en milieu de travail. Pour les entreprises, il passe de 30% à 40%. Pour les particuliers, le taux passe de 15% à 20%.

Par ailleurs, quelques gouttes d'encre verte ont été imprimées sur le budget. Le gouvernement consacre 12 M$ sur cinq ans aux technologies propres, en plus des 225 M$ déjà disponibles. À cela s'ajoutent 106 M$ pour la protection du patrimoine naturel.

Le gouvernement lance aussi le programme des Communautés rurales branchées pour étendre l'accès à Internet haute vitesse à l'ensemble de la province. Cette dernière mesure coûtera 20 M$.

Enfin, la ministre Jérôme-Forget a calqué une mesure lancée par les conservateurs au fédéral à la fin de février. Elle permet aux Québécois de se prévaloir d'un Compte d'épargne libre d'impôt (CELI). Les épargnants pourront y mettre 5000 $ par année et les gains effectués seront libres d'impôt, même après un retrait. Les cotisations inutilisées pourront être reportées à l'année suivante.