Laurent Beaudoin n'est pas homme à se laisser envahir par les regrets. Après avoir passé 45 ans à la tête de Bombardier, il préfère regarder vers l'avenir plutôt que s'attarder sur le passé. Mais si quelque chose lui est resté au travers de la gorge, c'est bien le métro de Montréal.

Laurent Beaudoin n'est pas homme à se laisser envahir par les regrets. Après avoir passé 45 ans à la tête de Bombardier, il préfère regarder vers l'avenir plutôt que s'attarder sur le passé. Mais si quelque chose lui est resté au travers de la gorge, c'est bien le métro de Montréal.

Avoir su qu'une véritable tempête se déclencherait, Bombardier n'aurait jamais proposé la négociation d'un contrat de gré à gré pour le remplacement des 336 voitures MR-63 du métro de Montréal.

«Je croyais que ce serait une chose naturelle, mais ça a viré en polémique», déplore M. Beaudoin en entrevue, deux semaines après avoir laissé le poste de président et de chef de la direction de Bombardier à son fils Pierre.

«On n'aurait jamais dû en parler, on aurait dû laisser aller le processus normal, leur dire de s'arranger avec leurs problèmes et simplement soumissionner, a-t-il lancé .Cette polémique a fait plus de torts qu'autre chose à Bombardier.»

Il explique que la Société des transports de Montréal (STM) avait besoin de remplacer rapidement ses voitures de métro et qu'elle avait également besoin d'aide pour développer les spécifications techniques des nouvelles voitures.

«Nous avons une équipe de 600 employés de l'autre côté du fleuve, à Saint-Bruno. On leur a dit qu'on pouvait les aider à accélérer le projet.»

Bombardier y trouvait son avantage: assurer des emplois à son usine de La Pocatière et surtout, mettre au point de nouvelles technologies qui pouvaient servir sur d'autres marchés. C'est d'ailleurs en obtenant un contrat pour la fabrication des voitures MR-73, en 1974, que Bombardier s'est lancée dans le transport. Depuis, l'usine de La Pocatière a exporté plus de 5000 voitures à travers le monde.

«Tout ce qu'on a eu au Québec, c'est ce contrat pour le métro de Montréal et un contrat pour des trains de banlieue. On ne peut pas dire qu'on a ambitionné. Il n'y a pas beaucoup d'entreprises dans le monde qui ne dépendent pas d'un certain marché local.»

Mais voilà, Alstom n'a pas digéré l'idée d'un contrat de gré à gré entre la STM et Bombardier et a obtenu, après une longue saga judiciaire, la mise en place d'un processus en bonne et due forme. Bombardier, évidemment, y participera.

Laurent Beaudoin rencontre La Presse Affaires dans les élégants bureaux de la société familiale Beaudier, au dernier étage d'une tour du centre-ville de Montréal. La véritable retraite devra attendre: il entend consacrer une bonne partie de son temps à gérer les investissements de la famille dans diverses sociétés, dont Bombardier et BRP (Bombardier Produits récréatifs).

Il continue aussi à assumer le rôle de président du conseil d'administration de Bombardier et à représenter l'entreprise à certaines occasions à l'étranger. Il a cultivé des liens importants, notamment en Chine, en Corée du Sud et en Russie.

L'homme semble reposé, même s'il revient tout juste d'une petite virée à Vancouver, où il a annoncé la participation de Bombardier en tant que commanditaire aux Jeux olympiques de 2010.

«Lorsque j'étais chef de la direction, j'aurais aimé pouvoir compter sur quelqu'un pour ce genre de chose, surtout lorsqu'il y avait des problèmes à régler à l'interne.»

M. Beaudoin ne se lance pas dans de grands discours lorsque vient le temps de faire le bilan de ses réalisations à la tête de Bombardier. Il affirme qu'il voulait simplement développer une entreprise durable. Pendant les années 60, raconte-t-il, les entreprises québécoises qui réussissaient, qui atteignaient un certain niveau, se faisaient toutes mettre le grappin dessus.

«Je voulais bâtir une entreprise qui puisse passer les générations et résister au passage du temps, déclare-t-il. Aujourd'hui, après 45 ans, je peux léguer une société qui a réussi à faire quelque chose reconnu en aéronautique, en transport, mais aussi dans les produits récréatifs. On a créé des emplois et développé des produits reconnus. Ça nous a mis sur la carte du monde.»

Il n'a pas voulu spécifier quel était son meilleur coup... ni son pire.

«J'en ai une série, s'exclame-t-il. C'est pour ça que je ne regarde pas en arrière. Ce qui est important, c'est la moyenne au bâton.»

Selon lui, l'essentiel, c'est de continuer à innover. D'où l'intérêt de lancer la fameuse CSeries. M. Beaudoin n'a pas voulu vendre la mèche et dire si Bombardier lancera la nouvelle famille d'appareils de 110 à 130 places au salon aéronautique de Farnborough, en juillet, comme le prévoient plusieurs observateurs. Chose certaine, si le lancement a lieu, Laurent Beaudoin sera présent.

«C'est un programme dans lequel on a mis tellement d'efforts, ça vaut la peine d'être là au lancement.»

Avec toutes ces activités, c'est à peine si M. Beaudoin aura le temps de se balader sur son Spyder, la nouvelle moto à trois roues de BRP, que ses enfants lui ont offert pour son 70e anniversaire de naissance.