L'adoption d'un plan de sauvetage de Wall Street par Washington à un coût pouvant aller jusqu'à 700 milliards déplace vers d'autres capitales l'oeil du cyclone qui balaie le système financier occidental.

L'adoption d'un plan de sauvetage de Wall Street par Washington à un coût pouvant aller jusqu'à 700 milliards déplace vers d'autres capitales l'oeil du cyclone qui balaie le système financier occidental.

Il fait ressortir aussi que le libéralisme économique tel que pratiqué depuis bientôt 30 ans doit être revu. Les élus devront cesser d'abdiquer leurs responsabilités aux seules forces du marché et aux enfants gâtés des places financières qui en tirent les ficelles.

On réalise que la crise financière accélère la détérioration de l'économie américaine, sans doute déjà enlisée dans une récession aussi profonde que celle de 1990.

On découvre, un peu davantage chaque jour, à quel point l'excès de l'effet de levier et la titrisation opaque à outrance n'étaient pas des pratiques limitées aux États-Unis.

L'effet de levier consiste à s'endetter pour acquérir des actifs. Au Canada, les banques sont tenues de limiter à 20 le ratio de l'actif sur les fonds propres, qui est la mesure standard de l'effet de levier. Elles se tirent bien d'affaire jusqu'ici.

Aux États-Unis, nous rappelait la semaine dernière le gouverneur de la Banque du Canada Mike Carney, le ratio des banques d'affaires sans activités de dépôt était d'au moins 25. Celui des banques européennes avec déposants dépasse 30. Voilà pourquoi il évoquait la possibilité que, "dans d'autres pays que le Canada, une injection de capitaux publics soit nécessaire pour boucler le processus de réduction du levier financier de façon ordonnée et rapide".

Les Européens prennent conscience ces jours-ci que cette extrémité les guette.

Les banques européennes ont procédé jusqu'ici à plus de 220 milliards (sur quelque 520 selon les calculs de l'agence Bloomberg) de radiations d'actifs reliées à la crise du marché américain de l'habitation.

Plusieurs font face aujourd'hui à une crise de même ampleur dans leur propre jardin, qui va exiger le secours de la main visible de l'État.

Au Royaume-Uni, où la pratique des prêts subprime était très répandue, le prix des maisons a commencé à baisser pour la première fois en 12 ans, en avril. La diminution observée était de 1,0%. Fin août, les prix avaient plongé en moyenne de 10,5% en un an. Bref, la dégringolade paraît plus rapide qu'aux États-Unis.

Les parlementaires britanniques tentaient durant le week-end d'orchestrer le démantèlement ordonné de la banque Bradford&Bingley, spécialisée dans le prêt hypothécaire.

De son côté, la HSBC, première banque d'Europe, annonçait vendredi 1100 licenciements à son siège social londonien.

Il y a 10 jours, Londres facilitait l'absorption de la HBOS, en manque de capitaux, par la Lloyds.

En février, il avait dû nationaliser la Northern Rock, très touchée par trop de mauvaises créances hypothécaires.

Au Benelux, le groupe financier Fortis, très malmené en Bourse la semaine dernière, a été partiellement nationalisé hier.

L'Allemagne a été la première à sentir que la crise s'installait chez elle. Il y a un an déjà, la banque régionale Saschen Landeshbank s'est laissée avaler par une rivale pour éviter le naufrage.

En Irlande, en Espagne, le prix des maisons est maintenant aussi à la baisse. Les difficultés des banques qui ont abusé de l'effet de levier vont bientôt affleurer.

Chez les Helvètes, les autorités politiques ont adopté une nouvelle loi pour le contenir, une mesure très mal accueillie par Crédit Suisse et UBS, pourtant très touchées par la crise financière actuelle.

La Banque centrale européenne a jusqu'ici protégé son taux directeur et opté pour l'injection massive de liquidités. Vendredi encore, elle concluait avec la Réserve fédérale américaine un ajout de 10 milliards à sa ligne de crédit pour avancer des dollars aux banques qui en ont besoin sur son territoire. Cela porte à 120 milliards la ligne swap entre la BCE et la Fed, qui reste en vigueur jusqu'au 30 janvier.

Fin d'un credo

On le voit, la crise actuelle sonne le glas du diktat des marchés financiers et du rapetissement du rôle de l'État. C'était le credo général depuis l'arrivée en force au pouvoir des idées néolibérales incarnées par Ronald Reagan et Margareth Thatcher, au début des années 1980.

L'échec récent de la ronde de Doha à l'Organisation mondiale du Commerce pour une libéralisation accrue des échanges était un signe avant-coureur que l'État reprenait ses droits.

Le sauvetage du système financier pour empêcher une trop grave contagion de l'économie réelle en est un autre.

La semaine dernière, Nicolas Sarkozy, jusqu'à tout récemment un des grands ténors de cette idéologie, a surpris en déclarant à Toulon: «Une certaine idée de la mondialisation s'achève avec la fin d'un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l'économie et avait contribué à la pervertir. Il faut un nouvel équilibre entre l'État et le marché.»

Même en se pinçant le nez, les élus américains s'y sont résignés. Couper dans le gras prendra désormais un autre sens.