«Le Vietnam me fait penser au Québec du début des années 60, quand je voyais mes oncles et mes tantes quitter la campagne et s'en aller en ville où les attendaient leur premier emploi dans des usines.»

«Le Vietnam me fait penser au Québec du début des années 60, quand je voyais mes oncles et mes tantes quitter la campagne et s'en aller en ville où les attendaient leur premier emploi dans des usines.»

Sylvio Lamarche, originaire de Granby, est un témoin attentif de la transformation majeure que subit le Vietnam. Il y vit depuis une dizaine d'années et s'est installé au bout d'une route, au nord de Nha Trang, dans le centre du pays. C'est là qu'il a construit un petit hôtel sur le bord de la plage.

De son petit coin de paradis, il voit changer son pays d'adoption. «Pour plusieurs de mes employés, le travail à l'hôtel, c'est leur premier emploi. Avant, ils pêchaient et plantaient du riz. Des jobs, il n'y en avait tout simplement pas.»

«Ça va à 100 miles à l'heure, poursuit-il. Ils partent d'une maison en bambou et en paille et là, ils se bâtissent une maison avec une grosse télé de 26 pouces!»

Il n'est pas le seul à être fasciné par la vitesse à laquelle le Vietnam change. «Quand je suis arrivé ici il y a près de cinq ans, se rappelle Donald Ghanem, chef des opérations chez le fabriquant de bâtiments en acier Zamil Steel, il n'y avait rien: pas de fromage, pas de pain, pas de Poulet frit Kentucky. Il n'y avait pas de supermarché. Un magasin à peine plus grand que mon bureau, ils appelaient ça un supermarché!»

Aujourd'hui, il n'y a pas seulement les supermarchés qui ont fait leur apparition. Dans les rues de Ho Chi Minh et de Hanoi, de grandes marques comme Louis Vuitton et Burberry viennent également d'ouvrir boutique.

Le Vietnam croît donc. Et croît rapidement. Mais il partait aussi de très loin. Ceux qui connaissent le moindrement la Chine constatent une différence marquée entre les deux niveaux de développement.

«Je dirais qu'ils sont 20 ans derrière la Chine», estime David Tai Wai Wong, directeur général de la canadienne Manuvie au Vietnam et qui a été en poste à Hong Kong, Macao et Taiwan avant de débarquer à Ho Chi Minh l'an dernier.

«Mais les Vietnamiens auront-ils besoin de 20 ans pour atteindre le niveau actuel de la Chine? demande-t-il. Probablement pas. Parce qu'ils ont appris des autres.»

C'est en 1986 que le Vietnam a décidé d'ouvrir son économie, huit ans après le début des réformes économiques en Chine. On appelle ces réformes le doi moi ou le renouveau.

Même si le pays est encore dirigé par le parti communiste - et rien n'indique que cela changera à court ou moyen termes- , la planification de l'économie a progressivement fait place au capitalisme et aux règles de marché.

«C'est avant tout un communisme pratique», explique l'ambassadeur canadien à Hanoi, Gabriel-M. Lessard.

«Pour maintenir ce peuple heureux, ces 70% qui ont moins de 30 ans, il faut que le Vietnam crée 1,5 million d'emplois par année, pour maintenir un niveau d'emploi qui évitera les explosions sociales. Alors, est-ce qu'un retour en arrière est possible dans ce contexte-là? Moi, je ne le pense pas.»

Si, dans les grandes villes de Chine, on peut facilement se sentir dans une économie développée, ça prend un peu plus d'imagination au Vietnam.

Ici, que ce soit à Ho Chi Minh (la métropole du sud) ou à Hanoi (la capitale du nord), le commerce de détail se fait encore beaucoup dans de petits magasins. Un vend des fruits, l'autre des pièces de métal courbé à côté d'un autre qui offre des robes de mariées dans son échoppe.

Les grands centres commerciaux, qui pullulent à Pékin, Shanghai et dans d'autres grandes villes chinoises, sont encore peu présents au Vietnam, quoique leur nombre augmente rapidement.

Autre manifestation de cet écart: les infrastructures. Les routes vietnamiennes sont souvent étroites et les autoroutes, plutôt rares. Les ports ont besoin d'investissements.

Et c'est sans parler du réseau électrique. Un simple coup d'oeil aux poteaux à Ho Chi Minh, la capitale économique du pays, vous convaincra de la nécessité des investissements: des dizaines et des dizaines de fils s'entrecroisent sans que l'étranger ne comprenne comment un tel système peut fonctionner. On est réellement dans ce qu'on appelle une économie en développement.

La firme américaine Goldman Sachs, qui a dressé le portrait de 11 pays émergents prometteurs, estime même que la taille de l'économie du Vietnam sera plus grande que celle du Canada en 2048. Parmi les 11 pays au potentiel prometteur, le Vietnam se classe troisième, derrière la Corée du Sud et le Mexique.

«Il obtient de bons scores en ce qui a trait au capital humain, la dette extérieur, l'ouverture de son économie et la stabilité politique, souligne Anna Stupnytska, une des auteurs de l'étude, dans un échange de courriels avec La Presse Affaires. Les secteurs où il est plus faible sont les capacités technologiques, la corruption, le respect de la loi et l'investissement.»

Marquant son ouverture au monde, le Vietnam est devenu le 150e membre de l'Organisation mondiale du commerce en janvier dernier. Mais le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et Singapour n'ont pas attendu cette date pour investir le marché. Leurs compagnies trônent au haut de la liste des investissements directs étrangers.

Les compagnies canadiennes, elles, ont pour 142 millions de dollars d'investissements dans le pays, selon les chiffres de l'ambassade canadienne.

Pour le grand patron de Manuvie au Vietnam, qui y est présente depuis 1999, il est clair que des entreprises canadiennes sont en train de manquer le bateau, comme certaines d'entre elles l'ont manqué dans d'autres économies en émergence.

«Pour certaines compagnies, il est déjà trop tard pour entrer dans les marchés chinois et indien. Et je ne crois pas que seules des multinationales peuvent profiter du Vietnam», précise-t-il.

Il cite en exemple des entreprises sud-coréennes et singapouriennes de taille moyenne qui, elles, savent profiter du boom vietnamien.

Plus de trois décennies après la victoire des communistes sur les Américains, les capitalistes sont donc de retour au pays d'Ho Chi Minh. Et cette fois-ci, ils sont bienvenus.