Au début des années 1960, l'équipe de basketball de l'Université Georgetown compte sur un joueur de centre plein de promesses.

Au début des années 1960, l'équipe de basketball de l'Université Georgetown compte sur un joueur de centre plein de promesses.

Au grand dam des équipes professionnelles, il se désintéresse peu à peu du basketball. Au point de prendre sa retraite sans disputer un seul match chez les pros.

Paul Tagliabue changea tout de même le visage du sport professionnel aux États-Unis. Pas au basket, au football. Comme commissaire de la NFL.

L'an dernier, M. Tagliabue a cédé son trône sous un tonnerre d'applaudissements. Avec raison. Sous sa gouverne, le football américain est devenu le sport le plus rentable aux États-Unis, loin devant le hockey, le baseball et le basketball.

Élu commissaire en 1989 – après sept mois de délibérations et onze tours de scrutin dans trois villes différentes! –, M. Tagliabue a fait passer les revenus annuels de la NFL de 790 millions à 5,7 milliards US en 2006. Selon Forbes, la valeur moyenne d'une équipe de la NFL se chiffre aujourd'hui à 898 millions US, une hausse de 212 % depuis 1997 (la première année où le magazine s'est intéressé à la valeur des franchises de sport professionnel).

«Paul a bien veillé sur la ligue, dit son ami Gary R. Roberts, directeur du programme de droit sportif de l'Université Tulane en Nouvelle-Orléans. Il a fait exploser ses revenus, tout en la protégeant de poursuites.»

En 2005, dernière année du règne Tagliabue, les équipes de la NFL ont réalisé un profit moyen de 30,8 millions US. Seuls les Saints de la Nouvelle-Orléans, aux prises avec l'ouragan Katrina, ont terminé leur saison dans le rouge, affichant des pertes de 4,1 millions US. Même s'ils n'ont pas participé aux séries éliminatoires, les Redskins de Washington ont été couronnés champions des profits avec 108,4 millions US.

Comment Paul Tagliabue a-t-il transformé ses dieux du stade en machines à imprimer des billets verts? « Grâce à ses talents de négociateurs, il a réussi à conclure de lucratifs contrats avec les réseaux de télévision », dit Paul Sommers, professeur en économie à Middlebury College, une université du Vermont.

Entre 1989 et 2006, les revenus de télédiffusion de la NFL sont passés de 468 millions US à 3,7 milliards US par année. Ils constituent aujourd'hui la moitié des revenus de la ligue et sont deux fois plus importants que les revenus de télédiffusion de la NBA, du baseball majeur et de la LNH... réunis!

Paul Tagliabue a été un habile négociateur, soit. Mais l'économiste Andrew Zimbalist a une autre explication.

«Le football est le sport le plus télévisuel, dit le professeur de Smith College, au Massachusetts. Il y a toujours des points et des jeux spectaculaires. Et les Américains sont attirés par une forme de violence présente dans ce sport. C'est beaucoup plus facile à vendre à la télévision que le hockey, où il n'est pas toujours facile de suivre la rondelle.»

Le football américain a aussi la cote auprès des commanditaires. Cette saison, Pepsi, Sprint et Molson Coors verseront un total de 210 millions US à la NFL.

Plus qu'un sport : un monopole

Les commanditaires n'ont guère le choix s'ils veulent vanter leurs produits auprès des amateurs de football: la NFL est la seule ligue professionnelle d'importance. Et le nouveau commissaire, Roger Goodell, entend bien conserver son monopole.

Créée en 1920, la NFL n'a pas eu de concurrent sérieux avant 1960. Une famille de millionnaires du Texas fonde alors l'American Football League. Les huit équipes de l'AFL connaissent du succès en recrutant davantage de joueurs de race noire et quelques vedettes des rangs universitaires. Après 10 ans, les deux ligues enterrent la hache de guerre et se fusionnent. Les clubs de la AFL sont regroupés au sein de la Conférence américaine.

Les lois sur la concurrence exigent toutefois l'approbation du Congrès américain. Le commissaire Pete Rozelle l'obtient en promettant qu'aucune équipe ne déménagerait. Il reniera sa parole six fois plutôt qu'une : six villes ont perdu leur équipe depuis 1970.

«La NFL est devenue une ligue d'envergure nationale à partir de la fusion, dit Gary R. Roberts, de l'Université Tulane. La fusion a toutefois été une mauvaise décision pour les joueurs car la NFL n'avait plus de véritable concurrent.»

Pour quelques années seulement. En 1983, un groupe d'hommes d'affaires incluant le promoteur immobilier Donald Trump lance la United States Football League (USFL).

Après trois saisons, la partie se transporte devant les tribunaux. L'USFL demande des dommages de 1,7 milliard US en vertu des lois sur la concurrence, accusant sa rivale d'empêcher les réseaux de télévision de présenter ses matchs et de lui bloquer l'accès à certains stades. Le jury rend son verdict en mai 1986 : la NFL est condamnée à payer la somme de... trois dollars!

«Le jury a conclu que même la NFL a mal agi à certains égards, la USFL était une ligue tellement dysfonctionnelle qu'elle n'avait pas droit à des dommages, dit Gary R. Roberts. La USFL comptait sur ce verdict pour se renflouer. Comme elle n'avait plus d'argent, elle a dû arrêter ses activités.»

La NFL est inquiétée une dernière fois en 2001. Cette fois, la menace vient du réseau de télévision NBC et du circuit de lutte professionnelle WWF, qui s'associent afin de créer la XFL. Les cotes d'écoute décevantes à la télévision ont raison de la ligue, qui misait sur du jeu spectaculaire et des salaires modestes. Qui sera le prochain rival de la NFL? Gary Roberts doute qu'un homme d'affaires soit assez fou pour s'attaquer à la ligue de sport professionnel la plus riche des États-Unis.

«Il faudrait que cette personne soit suicidaire!» dit-il.