La vente de Future Electronics, propriété du controversé milliardaire montréalais Robert Miller, risque d’être un dossier délicat pour Ottawa. Ce fleuron québécois gravite autour d’un secteur jugé de plus en plus stratégique – les composants électroniques – et son acquéreur est établi à Taiwan, qui fait présentement face à des menaces chinoises.

Cette prise de contrôle étrangère, l’une des plus importantes à survenir ces dernières années au Québec avec une facture de 5,14 milliards, n’a pas suscité une levée de boucliers, comme cela a souvent été le cas par le passé. Les gouvernements Legault et Trudeau se sont plutôt montrés prudents, vendredi.

À Ottawa, on s’est limité à rappeler qu’il y aura un examen en vertu de la Loi sur Investissement Canada (LIC), un mécanisme permettant aux autorités fédérales de bloquer une vente.

« Nous suivons attentivement la transaction concernant Future Electronics », a insisté Laurie Bouchard, porte-parole du ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne.

De son côté, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie a indiqué ne jamais avoir été contacté par Future Electronics. Il ajoute être disposé à « appuyer les entreprises stratégiques » de la province et que ce message avait été communiqué à l’entreprise de Robert Miller. Québec affirme que c’est aux autorités fédérales de jouer leur rôle par l’entremise de la LIC.

Ce dossier comporte plusieurs particularités.

Fondateur et principal actionnaire de Future Electronics, M. Miller est poursuivi en justice pour des allégations liées à la prostitution juvénile, ce qui a mis la table au processus de vente. Présente dans plus de 47 pays, l’entreprise de Pointe-Claire ne fabrique pas de composants électroniques comme des puces, semi-conducteurs et autres modules, mais elle joue un rôle dans cet écosystème en étant parmi les principaux distributeurs dans le monde.

Les gestes dont est accusé Robert Miller

Dans un reportage de l’émission Enquête diffusé en février dernier, une dizaine de femmes avaient confié avoir eu des relations sexuelles contre de l’argent avec le milliardaire entre 1994 et 2006. Depuis, d’autres femmes affirment avoir eu une expérience semblable. Une demande d’action collective et deux poursuites individuelles ont aussi été déposées au palais de justice de Montréal. M. Miller nie les allégations et affirme qu’elles sont répétées dans un but de gain financier par certaines personnes.

L’acheteur, WT Microelectronics, est implanté à Taiwan, où le climat géopolitique est tendu à cause de la menace chinoise. L’empire du Milieu multiplie les exercices militaires à proximité de l’île qu’il considère comme une partie de son territoire, laissant présager un éventuel conflit militaire.

Plusieurs angles

Il n’a pas été possible de savoir, vendredi, si un dossier d’évaluation avait déjà été acheminé à Ottawa. Mme Bouchard n’a pas voulu donner de précisions à ce sujet.

La transaction peut être évaluée sous deux angles : l’« avantage net » ainsi que la « sécurité nationale ». Compte tenu du prix payé pour Future Electronics, on évaluera assurément les effets sur les emplois et l’économie, affirme l’avocat Mark Warner, spécialiste du droit réglementaire à la firme torontoise Maaw La. En ce qui a trait à la sécurité nationale, l’avocat est moins certain.

À première vue, la distribution de composants électroniques ne semble pas faire partie des « domaines technologiques sensibles » cernés par Ottawa. Ceux-ci concernent par exemple l’intelligence artificielle, l’aéronautique, l’informatique de nouvelle génération ainsi que les matériaux et la fabrication de pointe.

Il n’est pas évident que Future Electronics cadre dans l’aspect de la sécurité nationale, mais en étudiant le dossier, le gouvernement peut trouver quelque chose qui y touche.

Mark Warner, avocat spécialiste du droit réglementaire à la firme torontoise Maaw Law

L’expert rappelle qu’en décembre dernier, le gouvernement Trudeau avait exprimé son intention de renforcer la LIC afin de se donner davantage d’outils et de pouvoir pour bloquer une transaction si elle présente des risques pour la sécurité nationale. Cela pourrait inciter les autorités fédérales à scruter davantage l’achat de Future Electronics, souligne M. Warner.

À la zone d’innovation Technum Québec en technologies numériques, le président-directeur Normand Bourbonnais croit qu’Ottawa pourrait se pencher sur la transaction. L’ingénieur de formation estime cependant que c’est une « bonne nouvelle » de voir WT Microelectronics grandir en achetant l’entreprise québécoise.

« Les Taiwanais ont bien saisi ce qui se passe avec la relocalisation des chaînes d’approvisionnement pour les semi-conducteurs, dit-il. On avait des chaînes globales et des fabricants locaux. Les fabricants deviennent globaux pour desservir des chaînes qui veulent se régionaliser. »

M. Bourbonnais souligne que le distributeur fondé par l’homme d’affaires québécois est « extrêmement important pour beaucoup de monde », en plus d’être un « fournisseur certifié par les fabricants ».

Si la transaction est conclue, WT Microelectronics affirme que Future Electronics conservera son siège social à Pointe-Claire et que son équipe de gestion demeurera en place.

Note : Une version précédente de ce texte affirmait erronément que, selon la firme de données financières Refinitiv, deux entreprises chinoises figuraient parmi les principaux actionnaires de WT Microelectronics. En réalité, l’un est établi à Taiwan et l’autre n’est pas actionnaire, malgré ce qu’indique Refinitiv.

Future Electronics en bref 

Fondation : 1968

Actionnaire principal : Robert Miller

Revenus* : 3,9 milliards

Profits nets : 249 millions

Effectif : 5200 personnes

* Pour les six premiers mois de 2023

En savoir plus
  • 1993
    Année de fondation de WT Microelectronics
    Source : WT Microelectronics
    24 milliards US
    Revenus de l’entreprise de Taiwan en 2022
    Source : WT Microelectronics