Le 5 mars dernier à Las Vegas, des constructeurs automobiles et des exploitants de limousines étaient réunis en congrès au MGM Grand. Au programme, conférences, partys et dévoilement de rutilants bus, fourgonnettes et VUS.

Mais il manquait quelque chose.

« Il n’y avait pas une seule limousine allongée », dit Robert Alexander, président de la National Limousine Association. « Pas une. »

Il y a 20 ou 30 ans, la limousine allongée – symbole d’opulence – était l’apanage des riches et des vedettes. Peu à peu, elle est devenue un luxe qui s’est banalisé, qu’on utilise lors des fêtes d’enfants ou pour le bal de fin d’année des adolescents.

PHOTO EMILY BERL, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des gens arrivent à un hôtel chic de Los Angeles pour un gala, après s’y être rendus à bord d’un Lyft. Naguère symbole d’opulence, la limousine allongée est en voie de disparition.

De nos jours, la vraie limousine semble une espèce en voie d’extinction. Si le nom de « limousine » demeure, ce long véhicule emblématique a été supplanté par le VUS noir, le bus et la fourgonnette.

« Le service de limousine n’est plus le secteur de limousine d’antan », dit M. Alexander.

En 2023, la limousine allongée génère moins de 1 % du chiffre d’affaires des services de limousine ; c’était environ 10 % il y a 10 ans, selon l’association.

La limousine allongée va rejoindre le mammouth et le dodo. C’est une espèce en voie d’extinction.

Robert Alexander, président de la National Limousine Association

Cette extinction est due à trois cataclysmes dans l’écosystème de la limousine, au fil des années, expliquent les exploitants : d’abord la Grande Récession ; ensuite l’arrivée des services comme Uber et Lyft ; enfin deux collisions mortelles impliquant des limousines, qui ont mené à une nouvelle réglementation dans l’État de New York, un marché clé du secteur.

PHOTO AUNDRE LARROW, THE NEW YORK TIMES

Le garage d’Attitude, service de véhicules avec chauffeur à New York. Jeff Rose, le patron, dit qu’il a déjà eu quatre limousines allongées parmi sa trentaine de véhicules. Aujourd’hui, il y a des berlines Lexus et des VUS Cadillac Escalade dans le garage, mais aucune limousine allongée. Il a vendu la dernière il y a huit ans.

La longue « limo » a perdu de son attrait et les passagers lui ont peu à peu préféré de grosses berlines et des VUS noirs, un peu moins ostentatoires.

Des carrioles à cheval aux limousines Hummer

La limousine allongée serait née à Fort Smith, dans l’Arkansas. Armbruster Stageway, un carrossier qui restaurait des diligences et calèches il y a plus de 100 ans, est considéré comme le créateur de la première limousine à moteur dans les années 1920. En 1985, l’entreprise construisait un millier d’unités par année et était l’un des principaux constructeurs américains de limousines.

À cette époque, plusieurs constructeurs automobiles ont cessé de faire des limousines. Les carrossiers spécialisés ont comblé le vide en coupant des berlines en deux, en insérant une section mitoyenne et en soudant le tout. Pour environ 50 000 $, ces spécialistes promettaient espace, luxe, télé et même un lit, en plus, bien entendu, d’un bar bien garni.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

La limousine allongée promet espace, luxe, une télé et, bien entendu, un bar bien garni.

Grâce aux économies d’échelle, le prix des limousines a baissé, attirant d’autres clients que les célébrités et les nantis. On les réservait pour aller à l’aéroport. Un restaurant du New Jersey a offert de venir chercher les clients en limousine, puis de les ramener chez eux à la fin de la soirée. Et pour les ados des banlieues, se rendre au bal de fin d’études en limousine est devenu une tradition (tout comme essayer de se faufiler à bord avec de l’alcool au nez du chauffeur, peu enclin à jouer son rôle de chaperon).

Les bons jours, le client vous gardait toute la journée pour aller à des réunions, disons, à Manhattan. Ensuite, le chauffeur conduisait le client se rafraîchir à son hôtel. Puis il le ramenait en ville. C’était les années 1970 et 1980, à l’époque des soirées new-yorkaises très animées.

Robert Alexander, président de la National Limousine Association

Les exploitants de limousines comme Scott Woodruff, PDG de Majestic Limo & Coach à Des Moines, dans l’Iowa, ont suivi la demande. Au début des années 2000, la limousine Hummer a fait son apparition et les bus de fête ont été équipés de banquettes, de téléviseurs et de minibars. À cette époque, environ le quart de ses véhicules étaient des limousines allongées.

« Chaque année, les limos s’allongeaient encore et encore », dit Woodruff.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

« Chaque année, les limos s’allongeaient encore et encore », dit Scott Woodruff, PDG de Majestic Limo & Coach à Des Moines, dans l’Iowa. À Montréal aussi, comme le montre cette limousine allongée circulant à l’île Sainte-Hélène le 21 avril 2008.

Chuck Cotton, qui possède VIP Limo, dans l’Oklahoma, est dans le métier depuis plus de 30 ans. Son parc de véhicules a culminé à 35 limousines, six bus de fête et quatre fourgonnettes Mercedes-Benz Sprinter à 12 places.

Puis le marché immobilier s’est effondré en 2008, déclenchant la plus longue et dure récession depuis la Grande Dépression… et le début de la fin de la limousine allongée.

Récession, Uber et réglementation

Les entreprises ont dû réduire leurs dépenses et licencier du personnel. Avec le chômage et le prix de l’essence en hausse, la demande de limousines s’est effondrée.

« Le marché a implosé », dit M. Alexander.

Le pays était encore en récession quand Uber a été fondé en 2009. L’autre gros acteur, Lyft, est né en 2012. À eux deux, ils ont mis sens dessus dessous l’industrie du taxi et rendu les voitures noires avec chauffeur plus accessibles.

PHOTO PRÉVOST CAR, ARCHIVES LA PRESSE

Une Packard allongée des années 1930. Durant l’entre-deux-guerres, les carrossiers spécialisés ont mis au point des techniques pour couper des berlines en deux, insérer une section mitoyenne et souder le tout.

Par ailleurs, deux accidents mortels dans l’État de New York ont mis au jour les dangers des limousines allongées. Quatre femmes sont mortes à Long Island en 2015. L’autre collision a fait 20 victimes en 2018 à Schoharie, à 260 km au nord de New York. L’État a adopté une loi imposant le port de la ceinture de sécurité à tous les passagers et l’obtention d’un permis commercial pour les chauffeurs. Toute limousine non inspectée peut être confisquée.

La limousine est aussi tombée en défaveur chez le consommateur, dit Jeff Rose, PDG d’Attitude, un service de transport avec chauffeur de New York.

« Lorsqu’une limousine s’arrête, tout le monde se retourne pour voir qui va y monter ou en descendre », dit-il. De nos jours, ses clients préfèrent la discrétion d’une berline noire ou d’un VUS.

Le secteur de la limousine aujourd’hui

Si la demande de limousines n’est plus ce qu’elle était en 1980 ou même en 2000, l’industrie du transport avec chauffeur va très bien. Mais elle a beaucoup changé.

Outre le passage à la berline et au VUS, l’industrie adopte les fourgonnettes Sprinter et les bus de fête. Barbara White, copropriétaire et directrice financière de VIP Transportation à Orlando, en Floride, dit qu’elle a vendu ses deux limousines, remplaçant l’une d’entre elles par une Sprinter. Avec ses bus, berlines, VUS et fourgonnettes, l’entreprise de Mme White assure plus de 1000 trajets par an, principalement pour des mariages, dit-elle.

PHOTO ANNE GAUTHIER, ARCHIVES LA PRESSE

La limousine faisait partie de la tradition du mariage, mais elle est en voie de disparaître. Ci-haut, une très élégante mariée arrive avec son père à l’église en 2006. La mariée de 2023 arrive plus souvent dans un VUS conduit par un chauffeur.

L’avocat Matthew Daus, ancien président de la commission des taxis et limousines de New York, estime que les autobus et les camionnettes sont l’avenir de l’industrie des limousines.

« Ils seront plus luxueux à l’intérieur, mais ils resteront probablement très discrets à l’extérieur, dit M. Daus. Le secteur des limousines est très résistant. Il s’est remis de la pandémie et se taille une place dans le secteur des autocars et des nolisés. »

Mais l’époque des limousines allongées semble révolue.

Jeff Rose, le patron d’Attitude, dit qu’il a déjà eu quatre limousines allongées parmi sa trentaine de véhicules. Aujourd’hui, il y a des berlines Lexus et des VUS Cadillac Escalade dans le garage, mais aucune limousine allongée. Il a vendu la dernière il y a huit ans.

« Et durant les deux années avant ça, c’était pratiquement un monument », dit-il.

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

Lisez l’article sur le site du New York Times (en anglais ; abonnement requis)